Jerome Powell, président de la Réserve fédérale américaine. A Washington, en juillet 2018. / MARY F. CALVERT / Reuters

Même pour des investisseurs motivés, l’examen des politiques monétaires mises en œuvre par les banques centrales ne constitue guère une lecture captivante dans la chaleur de l’été. L’impact sur la confiance des aventures rocambolesques des dirigeants politiques, quel que soit le côté de l’Atlantique, voire l’actualité de l’activité économique, aiguise davantage la curiosité de l’épargnant en vacances. Pourtant, comme souvent, le plus visible n’est pas forcément le plus important.

La révolution qui va impacter le plus la direction des marchés financiers ces prochains mois, et probablement ces prochaines années, n’est pas politique. Elle est monétaire. Il y a près de vingt ans naissait le nom alors barbare de « quantitative easing (QE) ». Il s’agissait pour les banques centrales, à commencer par la Reserve fédérale américaine, la Fed, de s’aventurer dans l’inconnu pour sauver l’économie mondiale de la faillite.

La seule baisse des taux d’intérêt directeurs, fût-elle dramatique, n’étant visiblement pas à la hauteur de la situation, les banques centrales se lançaient en effet dans l’activité sans précédent d’achats d’obligations d’Etat sur le marché. Ces achats firent monter le prix des obligations et, le prix d’une obligation évoluant en sens inverse de son taux d’intérêt, firent baisser leur rendement.

A la recherche de meilleurs rendements

Cette baisse des taux d’intérêt encouragea au fil des années les investisseurs à rechercher ailleurs, partout où ils les trouveraient, de meilleurs rendements. Les marchés du crédit (les obligations privées), puis les marchés d’actions bénéficièrent de cet engouement. Entre 2008 et 2018, l’indice actions américain S&P 500 s’est ainsi apprécié de quelque 200 %, et même l’indice européen Eurostoxx a gagné plus de 60 %, en dépit d’une activité économique atone et de multiples crises politiques durant ces dix années.

Les banquiers centraux avaient fait preuve d’une grande audace, très inhabituelle pour eux, consistant à utiliser leur pouvoir exclusif de battre monnaie pour acheter des actifs financiers. Cette création historique de liquidités fit le bonheur des investisseurs. Mais il n’est pas de belle histoire qui ne se termine.

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé la fin de ses propres achats d’obligations pour la fin de cette année

Depuis le début 2018, la vapeur a commencé de s’inverser. Non seulement la Fed n’est plus acheteuse d’obligations (ses achats avaient progressivement cessé en 2014), elle est devenue vendeuse, tentant de remettre sur le marché ce qu’elle avait acheté entre 2009 et 2013. Le QE est devenu QT (« quantitative tightening »). De plus, elle s’est engagée dans une trajectoire de « normalisation » de sa politique monétaire, c’est-à-dire de relèvement des taux d’intérêt à partir de niveaux jugés anormalement bas.

La Banque centrale européenne (BCE) n’en est pas encore au même stade, mais elle a annoncé la fin de ses propres achats d’obligations pour la fin de cette année. Les investisseurs doivent comprendre que les ramifications de ce renversement de tendance sont décisives à trois égards.

Contexte

La sécurité qu’offrait un soutien au prix des actifs financiers garanti par des banques centrales a eu pour conséquence un effondrement de la perception du risque, autrement dit de la volatilité. Le retrait des banques centrales fera le lit d’une augmentation de la volatilité. Autrement dit les chocs externes, qu’ils soient politiques ou économiques, auront plus d’impact sur les marchés.

Sauf à ce que de nouveaux acheteurs se présentent en nombre suffisant pour compenser l’inversion des interventions des banques centrales, les taux d’intérêt auront tendance à monter, donc leur prix à baisser, entraînant dans leur tendance le prix des actions et des obligations privées. On voit bien que l’année boursière 2018 n’est déjà plus tout sur la tendance de 2017.

Mais il ne faut pas s’y tromper : l’investisseur ne doit plus se soucier exclusivement d’économie

Enfin, la Fed américaine étant la première banque centrale à inverser son action, c’est la réduction de l’offre de dollars qui ouvre le bal du tarissement des liquidités. Donc les premières victimes de ce phénomène seront les pays dépendants du dollar pour financer leurs déficits. Les secousses financières que vient de subir l’Argentine constituent à cet égard une entrée en matière éclairante.

Bien entendu, toute révolution se déroule dans un contexte, qui en influence les effets. Une croissance économique résiliente, une remontée de l’inflation, en particulier aux Etats-Unis, encourageraient les banques centrales à accélérer leur désengagement. A contrario, un ralentissement ou des marchés très volatils les inciteront peut-être à lever le pied. Mais il ne faut pas s’y tromper : l’investisseur ne doit plus se soucier exclusivement d’économie. Il lui faut surveiller désormais les conditions strictement financières qui accompagneront cette dernière.