« Je n’ai jamais vu de tortue marine vivante, seulement des cadavres. Pourtant j’ai 27 ans et je vis en Méditerranée, bassin de reproduction par excellence des tortues ! », se révolte Mohamed Oussama Houij. Cet été, cet ingénieur parcourt à pied 300 km du littoral tunisien afin de sensibiliser les habitants et les touristes sur l’ampleur de la pollution. Parti de Mahdia, sur la côte est de la Tunisie, le 1er juillet, il doit atteindre son objectif fin août dans la banlieue de Tunis. Tout au long de son voyage, il publie sur Facebook des images de côtes jonchées de bouteilles en plastique, de lambeaux de filets de pêcheur, de couches pour bébé…

La journée de Mohamed commence à 6 heures, afin d’éviter les grandes chaleurs. Au programme ce jour-là : le nettoyage d’une plage au nord de la station balnéaire de Hammamet. Il rôde autour des parasols, le regard fixé sur le sable. Il se baisse, ramasse tout ce qui n’est pas organique et le glisse dans un immense sac poubelle de 100 litres. Mohamed alterne journées de marche et de nettoyage. A l’issue de son périple, il devrait avoir nettoyé 30 plages.

Les sacs poubelles, il ne les compte plus depuis longtemps. Son indicateur de saleté, ce sont les couches pour bébé. A sa grande surprise, il n’en a trouvé que deux ce jour-là. « Mon record, c’est une trentaine sur une même plage, à Sousse. » Sidéré, il insiste : « Ce sont 30 foyers, 30 familles qui viennent consommer l’espace. Laisser leurs ordures sur la plage ne leur pose aucun problème ! »

Ni association ni sponsor

Les réactions des baigneurs varient. Certains le prennent pour un éboueur, d’autres se lèvent et ramassent avec lui les ordures sur la plage. Aux yeux de Mohamed, n’importe quelle réaction vaut mieux que l’indifférence. Dans les grandes villes qu’il a traversées, il a été découragé par « l’insouciance » des habitants : mis à part des encouragements et des demandes de selfies, personne n’a pris l’initiative de se joindre à lui, contrairement aux petites villes, où les habitants s’approprient davantage l’espace.

Même si aucun estivant ne l’a rejoint ce jour-là, Mohamed n’est pas seul. Ils sont quatre à l’accompagner, qui l’ont connu sur Facebook et ont décidé de lui donner un coup de main le temps de son passage près de leur lieu de vacances. « Je ne suis pas sûre de l’utilité à long terme, mais ça permet d’alerter et c’est une superbe démarche », confie Rim Ben Slimane, enseignante en droit en région parisienne.

La seule interaction de Mohamed avec les autorités se limite jusqu’à présent à une arrestation musclée sur la plage de Sousse, à cause de son sac volumineux – la station balnéaire a été victime en 2015 d’un attentat terroriste qui a fait 39 morts. Mohamed n’a pas d’association, ni de collectif, ni de sponsor. C’est un solitaire, qui espère cependant mobiliser autant de volontaires que possible.

L’exemple de Bombay

En juin, l’ONG de protection de la nature WWF France publiait un communiqué alertant sur la concentration des déchets plastique en Méditerranée : « Alors qu’elle représente seulement 1 % des eaux marines à l’échelle du globe, la Méditerranée compte 7 % de tous les microplastiques (fragments de moins de 5 mm), qui ont atteint des niveaux records de concentration : 1,25 million de fragments par km², soit près de quatre fois plus que dans “l’île de plastique” du Pacifique Nord. » Mohamed explique cela par la nature de la Méditerranée, une mer « fermée » dont le renouvellement des eaux se fait principalement par le détroit de Gibraltar.

Aux sceptiques, il cite le précédent indien. En 2017, à Bombay, un juriste a commencé à ramasser des ordures sur l’une des plages les plus polluées de la ville. Au bout de 85 semaines, des milliers de personnes s’étant portées volontaires ont réussi à ramasser plus de 160 tonnes de plastique. De même, Mohamed estime que son projet « 300 km » sera un succès lorsqu’il aura « 300 personnes derrière lui » et « quand ceux qui ont été sensibilisés commenceront à se mobiliser ». Signe d’espoir : les tortues marines ont fait leur retour à Bombay et ont choisi cette plage pour y pondre leurs œufs, qui ont éclos en mars.