Rassemblement pour le droit à l’avortement, devant la Cour suprême du Brésil, à Brasilia, le 6 août. / ADRIANO MACHADO / REUTERS

Ce lundi 6 août, la Cour suprême du Brésil est exceptionnellement bruyante. « Un peu de modération, enfin ! » La juge Rosa Weber rappelle plusieurs fois à l’ordre l’assistance. Depuis deux jours, la plus haute instance du pouvoir judiciaire brésilien écoute les arguments enflammés des partisans et des opposants à la dépénalisation de l’avortement avant douze semaines de grossesse. A l’entrée du tribunal, des pro-dépénalisation ont installé des pots de rue, cette plante toxique utilisée pour ses propriétés abortives. D’autres se sont déguisées en servantes de la série The Handmaid’s Tale (La Servante écarlate), dans laquelle un Etat totalitaire force les femmes fertiles à enfanter.

Le sujet est ultrasensible au Brésil, où l’interruption volontaire de grossesse est interdite sauf en cas de viol, de danger pour la vie de la mère ou d’absence de cerveau (anencéphalie) chez le fœtus.

Un sondage réalisé l’an dernier montrait que seulement 26 % des Brésiliens étaient favorables à l’IVG. Mais si la juge a pris la décision rarissime de lancer un débat public, c’est parce qu’une pétition a été lancée en 2017 par la gauche et les féministes. Pendant la première journée, vendredi 3 août, le ministère de la santé a rappelé la réalité alarmante de l’avortement dans ce pays de plus de 200 millions d’habitants, en plein virage conservateur. Entre 500 000 et un million d’IVG ont lieu chaque année dans l’illégalité, 250 000 femmes sont hospitalisées à la suite de complications, 200 meurent chaque année.

Reflet du « racisme institutionnel »

Ce lundi, défenseurs des droits humains alternent à la barre avec représentants religieux, avocats, philosophes et médecins. Dans la salle, l’applaudimètre explose lorsque interviennent les pourfendeurs de la dépénalisation. « La vie commence à la conception », ne cessent-ils de répéter.

« Ce sont les femmes noires défavorisées qui sont les premières victimes », rétorque-t-on dans le camp adverse. « La législation en vigueur sur l’avortement reflète le racisme institutionnel qui règne dans ce pays », se désole l’avocate Livia Casseres. « L’avortement illégal pour les femmes noires est souvent une tragédie qui se vit seule, dans des conditions de salubrité effroyables », déplore une défenseuse des droits de l’homme. Charlene da Silva Borges, avocate, explique qu’à Sao Paulo trente femmes sont actuellement en prison pour avoir avorté, certaines étant attachées à leur lit, dont une vingtaine ont été dénoncées par le personnel de santé. Elle cite Simone de Beauvoir : « Se vouloir libre, c’est aussi vouloir les autres libres. » On l’applaudit modérément.

Le sénateur Magno Malta, représentant du lobby religieux au Congrès, a droit pour sa part à une ovation. Il accuse la plus haute juridiction d’usurpation de pouvoir. « C’est aux députés de légiférer sur le sujet, clame-t-il, pas à la Cour suprême. Elle se livre à un intolérable activisme judiciaire. » Juana Kwetel, de l’association Conectas, ironise en retour : « Il est naïf de laisser une décision sur l’avortement au Congrès, il est presque entièrement dominé par les hommes. »