Image thermique infrarouge de rhinocéros en Afrique du Sud. / Endangered Wildlife Trust/LJMU

Quel est le point commun entre des animaux en danger d’extinction, des braconniers et des étoiles lointaines ? Tous peuvent être détectés dans l’obscurité la plus totale grâce à la chaleur qu’ils émettent. Des écologues et des astrophysiciens de l’université John Moores de Liverpool et de la Société royale d’astronomie du Royaume-Uni ont utilisé cette propriété pour mettre au point un système capable de surveiller des populations d’espèces en danger sur des terrains difficiles d’accès.

Celui-ci repose sur des drones munis de caméras thermiques infrarouges et sur une intelligence artificielle qui reconnaît automatiquement les animaux en analysant leur empreinte thermique, enregistrée dans une base de données.

« Ce projet est né d’une discussion entre un astrophysicien et un écologue, explique Claire Burk, astrophysicienne de formation, chargée du projet. L’imagerie thermique infrarouge est utilisée depuis longtemps en astrophysique pour détecter certaines étoiles. » Et comme animaux et galaxies « brillent » de la même manière à l’écran, l’équipe s’est servie de logiciels et de techniques utilisés dans cette discipline et les a appliqués à la protection de populations en danger d’extinction.

Bibliothèque d’images

Pour constituer une bibliothèque d’images servant de support aux algorithmes du logiciel, les scientifiques ont travaillé avec le zoo de Chester et le parc animalier et de safari de Knowsley, au Royaume-Uni. Leur base de données contient actuellement une cinquantaine d’espèces dans des environnements variés.

Les différents paysages – et la présence ou non de végétation – sont en effet susceptibles de compliquer la détection des animaux, en bloquant les signaux de leur empreinte thermique. Mais l’équipe a annoncé être capable de repérer les spécimens à travers la végétation grâce à des modélisations. Elle espère que le projet sera prêt d’ici deux ans et commercialisable dans cinq ans.

Actuellement, le recensement des populations d’animaux sauvages repose surtout sur l’observation directe et des extrapolations mathématiques. « Cette technique pourrait être un plus pour le comptage, reconnaît Jacques Rigoulet, vétérinaire du Muséum national d’Histoire naturelle et expert de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction). Quand un biotope est dense, en Afrique ou en Amazonie, c’est difficile de compter les animaux. Très difficile. Ils sont à cinq mètres de vous, vous ne les voyez pas, mais eux vous voient. »

Les chercheurs de Liverpool ont aussi calibré leurs algorithmes pour qu’ils puissent repérer l’empreinte thermique d’éventuels braconniers. Une fonction d’autant plus utile que ces derniers agissent principalement la nuit.

« Besoin de solutions sophistiquées innovantes »

Ils ne sont pas les seuls à avoir eu cette idée. Depuis mars 2016, le WWF, le Fonds mondial pour la nature, teste un dispositif reposant lui aussi sur des caméras thermiques infrarouges et sur un logiciel de détection des mouvements, dans la réserve du Masai Mara au Kenya. Ce système de surveillance complète les moyens mis à la disposition des gardes présents sur le terrain.

« Le braconnage d’animaux sauvages est devenu une pratique criminelle sophistiquée, affirme Stéphane Ringuet, responsable au WWF du programme trafic et commerce illégal des espèces sauvages. Pour y faire face, nous avons aussi besoin de solutions sophistiquées innovantes, qui peuvent faire appel aux nouvelles technologies. Ces dernières sont un outil supplémentaire, mais ce n’est pas le Graal. Il peut avoir une valeur ajoutée réelle, mais uniquement s’il s’intègre dans une approche globale de lutte antibraconnage. »

L’ONG défend une approche holistique dans le combat contre ce trafic illégal. Celle-ci repose sur six piliers : l’évaluation du terrain, l’identification des technologies à utiliser, les capacités d’action, l’aide des communautés locales, l’engagement de poursuites contre les braconniers ainsi que la coopération entre services et entre pays.

Les nouvelles technologies comme les images infrarouges n’ont donc pas vocation à remplacer les hommes sur le terrain, mais à les aider. « Sans vouloir les opposer, les communautés locales peuvent être une source d’informations et d’observations plus efficiente que les drones, car elles sont là tout le temps et ont une connaissance très fine du territoire. Les nouvelles technologies restent des outils qui nécessitent de l’expertise humaine et des moyens financiers », explique Stéphane Ringuet.