La chanteuse Angélique Kidjo au festival Tempo Latino / URBANET Olivier

Emparanoia, Plaza Francia, Souljazz Orchestra, Kingston-Havana... Les 26, 27 et 28 juillet, le festival des musiques latines de Vic-Fezensac (Gers) a fêté son vingt-cinquième anniversaire avec une programmation détonante, voir détonnante. Tout au long de cette vingt-cinquième édition, nous avons été...

Envoutés

L’hommage de la diva africaine Angélique Kidjo à la reine de la salsa Celia Cruz a d’abord été monté à Brooklyn avec la complicité du percussionniste cubain Pedro Martínez. Depuis sa présentation à Vienne puis à la Philharmonie de Paris, le spectacle dans la plus pure tradition de la salsa new-yorkaise s’est bonifié sous la baguette du pianiste martiniquais Thierry Vaton. Aucun tube de la chanteuse cubaine n’a manqué à l’appel, de Quimbara à La Vida Es Un Carnaval, la palme de la meilleure adaptation revenant à un Toro Mata habité.

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Programmée jeudi soir, juste après ses compatriotes du Gangbé Brass Band, la chanteuse béninoise a marché dans les pas de la reine Celia tout en affirmant son africanité avec des titres symboliques : Zélié en guise d’introduction, Pata Pata, en hommage à l’autre artiste qui l’a inspirée, Miriam Makeba. Angélique Kidjo confie comment adolescente elle est allé voir la chanteuse cubaine pour la première fois, pariant avec ses copines qui n’arrivaient pas à croire qu’une femme pouvait être à la tête d’un groupe de salsa. La chanteuse évoque la mémoire des esclaves africains ont conservé leurs dieux en les transposant dans les saints chrétiens. Angélique d’entonne Santa Barbara (Que Viva Chango), descend dans l’arène, chante Mama Africa et invite le public sur scène. Enchanteresse Angélique.

Contaminés

Vous n’avez rien contre le sax ? Ça n’est pas moins que trois saxophones, alto, ténor, baryton, qui constituent l’épicentre du Souljazz Orchestra, auxquels il faut ajouter la chanteuse aux percussions mineurs, le tout encadré à ma gauche par le clavier, Pierre Chrétien, le leader à casquette, chemise à fleurs et rouflaquettes, à ma droite le batteur hypster.

Le combo venu d’Otawa propose une musique souvent instrumentale, parfois chantée, en anglais, en français ou en dialecte africain, des mélodies groovy, fusions, d’inspiration d’Afrique de l’Ouest et de la Caraïbe sur une base souvent afrobeat, parfois zouk. Le synthé est bien présent, sans être gênant, même si la guitare serait la bienvenue.

C’est vendredi soir. Le festival commence à prendre et le directeur Eric Duffau est fier de sa trouvaille. Le public semble adhèrer. Dog Eat Dog, le premier extrait de leur dernier album chez Strut, met le feu au ruedo. Un groove contagieux qui donne des fourmis aux jambes. L’audience danse, danse, danse.

Brenda Navarrete (Kingston meets Havana) au festival Tempo Latino / URBANET Olivier

Curieux

Peu convaincu par le disque, j’étais venu avec mes a priori. Il faut dire que « Havana meets Kingston » avait été précédé il y a quelques années par « Rebel Tumbao » de José Claussell dans lequel le batteur d’Eddie Palmieri avait réalisé un travail remarquable de fusion des rythmes jamaïcains et cubains.

Première surprise : l’intro au chant afro par Martha Garralaga, invitée inattendue, qui s’était faite remarquée en faisant fait le show à la jam du D’Artagnan mercredi soir et qui offrira le lendemain une torride session de rumba avec Okilakua. La révélation du concert est belle et bien la magnifique Brenda Navarette, partout, aux batás, aux congas. Elle rejoint au chant Randy Valentine, secondée par le trompettiste Julito Padrón. On se doutait que la Cubaine allait illuminer le live-band de Mista Savona. On vous conseille son album afro-cubain « Mi Mundo » chaudement.

Les musiciens cubains se révélént remarquables dans une ambiance plutôt jamaïcaine, et c’est mieux comme ça. La reprise de Candela frole le désastre, n’arrivant pas à se dépatouiller, malgré le camouflage du reggaeton, d’un squelette basse-batterie qui tente de faire le grand écart entre reggae et son cubano. Pour le reste, ça fonctionne assez bien. Visuellement ça se répartit entre musiciens jamaïcains sur le côté droit et jamaïcains sur le côté gauche. Le public adhère sans réserve, réagissant au quart de tour aux sollicitations des musiciens, tous excellents aux demeurant. C’était le feu et c’est tant mieux. Saluons la démarche de Tempo Latino qui a permis cette première française.

Plaza Francia Orchestra au festival Tempo Latino / URBANET Olivier

Embarqués

Samedi soir, acte 1. Même quand on n’a pas de réelle accointance avec le tango, on ne peut que reconnaître que Plaza Francia Orchestra de Müller et Makaroff, successeur du Gotan Project, fut un des plus beaux spectacles qui ait été donné dans les arènes de Vic-Fezensac. Une chanteuse, Maria Sol Muliterno, majestueuse, des musiciens (guitare, clavier, piano, bandonéon, contrebasse) couvre-chefs et costumes noires. Des effets de lumières du plus bel effet. Les basses électroniques sont accompagnées des mains du public. On leur préféra les titres acoustiques, magiques. Programmer du tango à l’heure du prime était culotté. Belle réussite.

Samedi soir, acte 2. On était prévenu : Amparanoïa allait mettre le feu. J’étais doutif. Le rock latino, Manu Chao, Sargento Garcia, tout ça n’était pas mon verre de mojito. Et bien c’était formidable ! Ficelles ragga, cumbia et ska à gogo, allez un petit Welcome to Tijuana pour la route. Un groupe du feu de Dieu et des mélodies bigrement efficaces (El Coro De Mi Gente, En La Noche). Mention spéciale à l’invitée especiale, la Guatémaltèque Sara Curruchich. L’orchestre de Sergio Mendoza se joindra au final. On s’imagine avec vingt piges de moins dans un festival improbable au fin fond de la Bretagne. On est en 2018, c’est à Vic-Fezensac que ça se passe et ça fait du bien.

Joe Bataan, "King of latin-soul", au festival Tempo Latino / URBANET Olivier

Comblés

Quelle chance tout-de-même de voir Joe Bataan dans les arènes de Vic-Fezensac ! Inimaginable il y a cinq ans alors que je discutais avec le king of latin soul dans son ancien quartier au Est Harlem. L’ancien voyou du barrio, reconverti dans l’action sociale au début des années 80 sortait alors timidement de sa retraite. Un retour à porter au crédit d’Osman Jr, le leader de Setenta qui est allé chercher son idole à New-York pour le faire jouer à Paris. C’était en 2015 aux Etoiles. Depuis l’idyle se poursuit.

Bel exploit des parisiens d’avoir réussi à adapter, sans cuivre, dans un ensemble cohérent le vaste répertoire du king of latin soul. De la période Fania alors qu’il était une figure du boogaloo au latin-soul du début des années 70 quand il fonde son label Salsoul, de Rap’O Clap’O en 79, qui dispute au Rapper’s Delight de Sugarhill Gang le titre de premier rap de l’histoire, jusqu’au hit new-soul de 2005 Call My Name. Joe Bataan meets Setenta, c’est Joe Bataan à la sauce Setenta.

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Dimanche soir, fin de festival entre fatigue et excitation. Les parisiens avait chauffés le public avec trois de leurs titres, latin-soul contemporain et classieux qui mériterait à lui-seul l’honneur des arènes. Le vétéran, 76 ans, très en forme, la voix solide malgré une ou deux fausses notes, exécute le concert d’une traite, se paye le luxe de jouer les ambianceurs, embarquant dans sa machine à remonter le temps les retardataires qui n’avaient qu’une vague idée de qui pouvait bien être Joe Bataan.

Le boogaloo avait surgi dans les années 60 en réaction au mambo élitiste. Pas besoin de connaître des pas compliqués, le boogaloo était une musique festive et fédératrice, faite pour faire danser tout le monde, noirs, blancs, latinos. C’est exactement ce qu’il s’est passé cette soirée du 29 juillet.

New-York Salsa All Stars / URBANET Olivier

Enflammés

Quand le vétéran libère le public, les arènes sont pleines à craquer, un chaudron brulant prêt à accueillir Mercadonegro. Le New-York Salsa All Stars, c’est la réunion de Mercadonegro, enorgueilli d’avoir accompagné Celia Cruz, et des plus grandes stars de la salsa. Le groupe est solide, terriblement efficace avec quatre cuivres et quatre percussionnistes. On regrettera le départ du génial pianiste Cesar Correa. Les deux chanteurs Armando Miranda et Josbel interprètent trois morceaux dont bien entendu La Guarachera de Cuba.

Arrive Jimmy Bosch, dont le public de Vic est entiché depuis plusieurs années. Talentueux, le tromboniste l’est assurément. Malheureusement Jimmy n’a pas une très jolie voix (Lors de sa dernière prestation, il était accompagné du jeune sonero Willito Otero). Si le public est tout acquis, je commence à trouver le temps long. Et puis Jimmy entame Otra Oportunidad, qu’il a écrit il y a des années en hommage à son frère disparu. Il dédie le titre à sa maman partie dix jours plus tôt. Comment résister ?

Ceux qui ne la connaissaient pas ont dû rester bouche bée devant les frasques de Nora Suzuki. Son peps séduit dans l’instant. La japonaise célèbre l’Orquesta De La Luz dont elle était la chanteuse, arrache son kimono dévoilant une robe rouge moulante pendant que le batteur Rodrigo se lance dans un reggaeton endiablé. Faisant retomber la pression, elle laisse vedette à son pianiste Takaya Saïto pour un cha-cha-chá impeccable.

Surgit José Alberto, « El Canario », la voix puissante et la flûte affutée (virtuelle, qu’il mime en sifflotant, sa marque de fabrique). Les standards sont au rendez-vous : La Paella, A La Hora Que Me Llamen Voy. Le répertoire de Mercadonegro est infini et les tubes défilent : La Murga, Chan Chan. Ils s’amusent tant qu’on se demande si ils ne sont pas meilleurs en tant qu’accompagnateurs. On réalise combien El Canario est bon sonero. La température monte. Jimmy Bosch et Nora sont de retour pour le final, explosif. On ne sait plus distinguer ce qui est improvisé de ce qui est préparé. Nora interprète La Vida Es Un Carnaval en japonais. Lo Que Quiero Es Salsa sera bon pour le rappel. Presque trois heures de concert, les arènes pleines à craquer, des gradins debouts et une conclusion à deux heures du matin. De ces concerts mythiques qui font la légende de Tempo Latino...

Tempo Latino s’est terminé comme il avait commencé, avec la reine Celia où elle avait joué il y a exactement vingt ans. Tout au long de cette édition, trois concerts ont rencontré un immense succès : Kingston meets Havana, Amparanoia et le New-York Salsa All Stars. L’hommage à Célia aurait pu, aurait dû si le public s’était déplacé en plus grand nombre. Les autres orchestres ont généralement séduits ceux qui avaient fait le déplacement, à condition d’adhérer au genre proposé : brass band, afrobeat, latin-soul, tango. Si cette vingt-cinquième édition fut une réussite artistique indéniable, son positionnement interroge. Avec seulement deux concerts salsa sur huit, les amateurs de rythmes afro-caribéens sont restés sur leur faim. Aux premiers rangs, nombre de visages familiers étaient manquants. Tempo Latino peut-il se passer de ses fidèles ?