Des partisanes de la légalisation de l’avortement devant le Congrès, le 8 août. / MARCOS BRINDICCI / REUTERS

Après l’Irlande en mai, un autre pays catholique et conservateur se dotera-t-il du droit à l’avortement ? Les sénateurs d’Argentine votent mercredi 8 août, mais la tendance est a priori au rejet du projet de loi.

Dans un pays où l’Eglise exerce une influence historique, renforcée par la présence d’un pape argentin à Rome, une majorité de sénateurs (37 sur 72) ont fait connaître leur intention de voter contre le texte. Le projet de loi qui légalise l’IVG au cours des 14 premières semaines de grossesse avait cependant été adopté de justesse par les députés le 14 juin (129 voix pour, 125 contre).

« Que l’Eglise arrête de mettre son nez là où ça ne la regarde pas »

Notre journaliste sur place, Angeline Montoya, s’est rendue devant le Congrès à Buenos Aires, où se sont rassemblés les partisans des deux camps mobilisés.

« La question est voulons-nous que l’avortement soit légal ou clandestin, le débat n’a rien à voir avec pour ou contre l’avortement. Que l’Eglise arrête de mettre son nez là où ça ne la regarde pas, qu’elle nous laisse choisir pour nous-mêmes », témoigne Celeste Villalba, une étudiante de 20 ans, un foulard vert noué autour du cou pour signifier son engagement en faveur de la légalisation.

Les militantes du collectif de la société civile à l’origine du projet de loi actuel – la Campagne nationale pour le droit à l’avortement légal, sans risques et gratuit – avaient en effet choisi, dès 2005, le symbole du foulard en référence au fichu blanc utilisé par l’organisation des Mères de la place de Mai, qui luttent depuis 1977 pour faire la lumière sur la disparition de leurs enfants, opposants de la dictature (1976-1983). La couleur verte avait, elle, été choisie car, d’un côté, elle symbolise l’espoir, et, de l’autre, elle n’était utilisée à l’époque par aucun autre mouvement.

« Trop de femmes meurent »

D’après les estimations, 500 000 avortements sont pratiqués chaque année en Argentine. « L’avortement, c’est un droit, nous sommes vraiment des arriérés, nous en sommes encore à nous demander si c’est bien nécessaire de le légaliser, un demi-siècle après l’Angleterre », témoigne Camila Suarez, une étudiante en droit âgée de 20 ans.

Mirtha Martini, 64 ans, a fait un détour par la place du Congrès pour témoigner de son soutien, séduite par « l’engagement de cette jeunesse ». « J’ai honte que l’Argentine soit aussi arriérée. L’avortement est un droit élémentaire », se plaint-elle.

Calcul politique et réel élan féministe

Ce sont les mouvements féministes qui ont donné ces deux dernières années un élan déterminant à la revendication du droit à l’avortement en Argentine, ce qui a notamment conduit le président argentin de centre droit, Mauricio Macri, à ouvrir le débat au Parlement, pour la première fois de l’histoire du pays sud-américain.

Dans une interview au Monde, l’historienne argentine Dora Barrancos évoquait par ailleurs un motif politique :

« M. Macri est un homme de calcul, qui a cherché à bousculer l’agenda politique pour masquer les problèmes de son gouvernement et la baisse de sa popularité dans les sondages, dès décembre 2017, à la suite des grandes manifestations pour protester contre la réforme du calcul des pensions et une inflation galopante. »

Amnesty International et Human Rights Watch ont appelé les sénateurs argentins à voter en faveur du texte pour des raisons de santé publique. « Le monde vous observe », leur a écrit Amnesty.

« Sauvons deux vies »

Si un côté de la place du Congrès est à dominante verte, le camp des anti-IVG est, lui, bleu ciel. Des curés en soutane y supervisent l’installation d’une chapelle, d’affiches de la Vierge de Lujan. Ils se présentent comme les défenseurs de la vie. « Sauvons les deux vies », celle de la femme et celle du fœtus, est la consigne qui figure sur leur foulard triangulaire.

Des partisans de l’interdiction de l’avortement devant le Congrès le 8 août. / Natacha Pisarenko / AP

« Il y a une grande démonstration de foi, les paroisses sont mobilisées dans tout le pays. Il faut défendre la vie », explique Federico Beruete, le curé d’une paroisse de La Plata, à 60 km de Buenos Aires.

Pour lui, « le fait d’avoir un pape argentin a incontestablement aidé » lors du bras de fer sur l’avortement. Très discret avant le vote des députés le 14 juin, le pape François est sorti de sa réserve deux jours plus tard, lors d’une réunion avec des associations de la famille au Vatican :

« Au siècle passé, tout le monde se scandalisait de ce que faisaient les nazis pour purifier la race. Aujourd’hui on fait la même chose, mais avec des gants blancs. »

En cas de rejet, il faudra attendre 2020 pour un nouveau vote

Si les sénateurs suivent le chemin des députés, l’avortement deviendra légal et gratuit et pourra être pratiqué durant les 14 premières semaines de grossesse.

« Dans le camp catholique, on se fait à l’idée d’une légalisation, si ce n’est pas à court terme, à moyen terme. Tous les secteurs de la société semblent se préparer à la légalisation de l’avortement. Tôt ou tard », assure la sociologue Sol Prieto.

Si le non l’emporte, il faudra probablement attendre 2020 avant que la question de l’avortement puisse de nouveau être examinée par le Parlement. La loi fixe un délai d’un an après un rejet, mais en août 2019, à deux mois de l’élection présidentielle, il est peu probable que les partis politiques souhaitent reprendre le débat en pleine campagne électorale.

Le résultat du vote est attendu mercredi 8 août dans la nuit du 8 au 9 août.

Argentine : à la rencontre des pro et anti-avortement, à la veille du vote sur une légalisation