Des organisations sociales et culturelles se sont rassemblées dimanche 5 août, à Buesnos Aires, devant le Congrès, lors d'une manifestation en faveur du droit à l'avortement. / Anita Pouchard Serra / Hans Lucas pour Le Monde

Mercredi 8 août, le Sénat argentin doit se prononcer en seconde lecture sur un projet de légalisation de l’avortement, déjà adopté par les députés le 14 juin. L’issue du vote, qui s’annonce serré, est très incertaine. Le texte original prévoit de rendre libre le recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) pendant les quatorze premières semaines.

Que dit la loi actuelle sur l’avortement ?

Depuis 1921, l’avortement est considéré comme un délit par le code pénal argentin. Une femme qui avorte risque entre un et quatre ans de prison, et tous ceux l’ayant aidée encourent jusqu’à six ans de prison.

Mais l’article 86 autorise toutefois l’avortement dans deux situations :

  • lorsque la santé ou la vie de la femme enceinte est en danger ;
  • en cas de viol.

Cependant, la loi est difficilement appliquée et la plupart des avortements – entre 370 000 et 522 000 par an, selon une étude du ministère de la santé datant de 2005 – se font clandestinement.

Que prévoit le texte en discussion ?

Le projet de loi prévoit la possibilité d’avorter sur simple demande jusqu’à la quatorzième semaine. Il permet également les avortements thérapeutiques jusqu’à la fin de la grossesse, en cas de danger pour la santé de la femme enceinte et en cas d’inviabilité du fœtus. Il autorise les médecins à être objecteurs de conscience, mais interdit l’objection de conscience « institutionnelle », c’est-à-dire la possibilité pour les cliniques privées de refuser en tant qu’institution de pratiquer des IVG.

Adopté par 129 voix pour et 125 contre par la chambre des députés, le 14 juin, le projet a ensuite été âprement discuté pendant deux semaines au Sénat. Dans la rue, les agressions se sont multipliées contre les partisans de la loi et, face à la pression de l’Eglise catholique, de plus en plus de sénateurs ont annoncé qu’ils voteraient contre. Face au danger que le projet soit repoussé par le Sénat, des sénatrices ont proposé d’y introduire des modifications : douze semaines au lieu de quatorze semaines de grossesse et autorisation de l’objection de conscience institutionnelle, notamment.

Cependant, ces modifications n’ont pas été retenues par les sénateurs les plus conservateurs, préférant que ce soit le projet original (qui soulève le plus d’opposition et a donc le plus de chances d’être repoussé) qui soit discuté mercredi 8 août.

Pourquoi un vote positif serait-il historique ?

Dans le sous-continent latino-américain, 97 % des femmes en âge de procréer vivent dans des pays avec des lois d’IVG restrictives, selon l’institut américain Guttmacher. Le recours libre à l’IVG n’est possible que dans trois pays : Cuba (depuis 1965), Guyana (depuis 2006) et l’Uruguay (depuis 2012), et dans la ville de Mexico (depuis 2007).

Six pays l’interdisent totalement, même si la grossesse fait courir un risque mortel à la femme. Cinq sont situés en Amérique centrale et dans les Caraïbes : le Nicaragua, le Salvador, le Honduras, la République dominicaine et Haïti. Et un, le Suriname, en Amérique du Sud.

Partout ailleurs, l’IVG est pénalisée et permise uniquement dans certaines conditions. Mais, là encore, la plupart du temps, ces conditions ne sont pas respectées et la pratique de l’avortement, pourtant massive, reste clandestine et donc dangereuse.

Quels sont les différents scénarios possibles le 8 août ?

  • Le vote du projet est positif :

La loi est adoptée. Le président, Mauricio Macri, a la faculté d’y poser son veto. Malgré son opposition déclarée à l’avortement légal, il a déjà prévenu qu’il ne le ferait pas. Le président a ensuite dix jours pour signer le décret. Faute de signature au bout de dix jours, la loi est adoptée de fait. Elle est ensuite publiée.

  • Les sénateurs y apportent des modifications :

Les sénateurs peuvent proposer des modifications, qui seront approuvées si elles reçoivent deux tiers des votes. La loi devra alors retourner à la chambre des députés, lesquels devront à nouveau se prononcer, également aux deux tiers. S’ils votent pour, la loi est adoptée. S’ils votent contre, elle est repoussée et il n’y aura pas de recours possible. Le projet devra attendre un an avant d’être présenté à nouveau.

  • Le vote est négatif :

Si les sénateurs votent contre le projet, celui-ci ne pourra, là encore, pas être discuté à nouveau avant 2019, année d’élection présidentielle.

Pourquoi le foulard vert est-il le symbole de l’avortement légal ?

Les militantes du collectif de la société civile à l’origine du projet de loi actuel – la Campagne nationale pour le droit à l’avortement légal, sans risques et gratuit – ont choisi, dès 2005, le symbole du foulard en référence au fichu blanc utilisé par l’organisation des Mères de la place de Mai, qui luttent depuis 1977 pour faire la lumière sur la disparition de leurs enfants, opposants de la dictature (1976-1983). La couleur verte a été choisie car, d’un côté, elle symbolise l’espoir, et, de l’autre, elle n’était utilisée à l’époque par aucun autre mouvement.

Face à la « marée verte » de centaines de milliers de foulards brandis lors des manifestations en soutien à la loi, les organisations « pro-vie » ont lancé à leur tour, ces derniers mois, leur propre foulard, bleu ciel, et leur slogan : « Sauvons les deux vies », en référence à la vie de la femme enceinte et à celle du fœtus.

Comment le pape François a-t-il réagi au débat dans son pays ?

Très discret avant le vote des députés le 14 juin, le pontife argentin est sorti de sa réserve deux jours plus tard, lors d’une réunion avec des associations de la famille au Vatican. « Au siècle passé, tout le monde se scandalisait de ce que faisaient les nazis pour purifier la race. Aujourd’hui on fait la même chose, mais avec des gants blancs », a-t-il affirmé en référence à l’avortement thérapeutique.

Depuis lors, les Eglises, catholique et évangéliques, ont été très virulentes dans leur critique du projet de loi, des prêtres menaçant même d’excommunier les sénateurs qui voteraient pour.

Argentine : à la rencontre des pro et anti-avortement, à la veille du vote sur une légalisation