Alex Jones, dans une vidéo publiée le 7 août. / Infowars

YouTube, Facebook, Apple, LinkedIn, le service d’envois d’e-mails MailChimp, et même, de manière plus étonnante, le site d’images Pinterest ou la plate-forme pornographique YouPorn… en l’espace d’une semaine, le polémiste d’extrême droite Alex Jones et son site Infowars se sont retrouvés évincés de la quasi-totalité des grandes plates-formes en ligne.

Depuis plusieurs mois, cette figure de l’alt-right, dont les multiples émissions quotidiennes en direct soutiennent sans relâche l’action de Donald Trump, cristallise les problématiques de modération des grands réseaux sociaux.

D’un côté, Alex Jones présente des opinions souvent extrêmes, mais protégées par le premier amendement de la Constitution américaine, qui garantit la liberté d’expression ; de l’autre, il diffuse aussi chaque semaine des théories du complot assimilables à des discours incitant à la haine — qui sont interdits aux Etats-Unis, selon des critères toutefois moins stricts qu’en Europe.

Il est notamment l’un des principaux défenseurs de la théorie selon laquelle le massacre de Sandy Hook, durant lequel vingt-huit personnes ont été tuées par un tireur en 2012, n’a jamais existé. De nombreuses familles de victimes racontent avoir été harcelées par des fans d’Alex Jones, et avoir dû, pour certaines, déménager à plusieurs reprises.

Depuis plusieurs années, les réseaux sociaux font l’objet de vives critiques pour avoir laissé Alex Jones diffuser sur leur plate-forme des vidéos et des textes conspirationnistes. Mais jusqu’à très récemment, aucune sanction ou presque n’avaient été prises contre cette figure de l’alt-right, qui cumulait plusieurs centaines de milliers d’abonnés sur tous les grands réseaux. Les grandes plates-formes se sont longtemps montrées hésitantes à modérer les vidéos d’une « grande voix » de la droite de la droite américaine, largement soutenue par les élus républicains, notamment Donald Trump.

Twitter à contre-courant

Mais en quelques jours, la tendance s’est violemment inversée. Des premières sanctions sont tombées fin juillet sur Facebook et YouTube, puis, il y a une semaine, Apple a supprimé cinq des six podcasts d’Alex Jones d’iTunes. Facebook et YouTube ont suivi en fermant complètement les comptes du polémiste. Seul Twitter a décidé de laisser son compte en ligne. Le cofondateur du réseau social, Jack Dorsey, s’en est expliqué dans une série de messages publiés mardi 7 août, en critiquant assez directement les décisions de ses concurrents :

« Nous n’avons pas suspendu les comptes d’Alex Jones ou d’Infowars. Nous savons que c’est difficile pour beaucoup de gens, mais la raison est simple : il n’a pas violé nos règles. S’il le fait, nous le suspendrons. (…) Nous avons les mêmes standards pour Alex Jones que pour tous les autres utilisateurs, et nous ne prenons pas des décisions coup de poing qui nous font nous sentir bien à court terme, mais qui font le jeu de nouvelles théories du complot. Si nous cédons et réagissons à la pression extérieure (…) nous devenons un service tributaire de nos opinions personnelles. » M. Dorsey estime par ailleurs que c’est « aux journalistes », non aux plates-formes, de lutter contre les théories du complot.

Twitter, qui a annoncé plusieurs séries de mesures pour tenter de réduire les comportements « toxiques » sur sa plate-forme, reste l’un des réseaux préférés des militants de l’alt-right. Mais le cas d’Infowars est emblématique d’un problème plus large : les réseaux sociaux ont mis en place, après l’élection présidentielle de 2016, diverses mesures pour lutter contre la diffusion de fausses informations et de théories du complot.

Pour de nombreux militants de l’extrême droite américaine, ces « filtrages » sont en réalité une censure politique visant spécifiquement les « patriotes ». Une rhétorique largement diffusée, y compris par les élus républicains au Congrès, qui accusent régulièrement la Silicon Valley — qui vote très majoritairement démocrate — d’avoir monté un complot contre les conservateurs. La plupart des grandes entreprises du secteur, gênées par ces accusations, ont pris de grandes précautions pour tenter d’amadouer, sans grand succès, des personnalités de la droite américaine.

Théories du complot et liberté d’expression

Un « grand complot » est, sans surprise, la théorie développée par Alex Jones lui-même pour expliquer la fermeture de ses comptes. Dans un discours confus de huit minutes faisant référence à Kafka et à Orwell, mis en ligne sur son site et sur Twitter, il explique être victime d’une « censure politique », orchestrée pêle-mêle par les démocrates, les médias, la Silicon Valley, mais aussi par « les communistes chinois » et « l’Union européenne ». M. Jones, qui est à la tête d’un petit empire médiatique, qui se finance à la fois par les dons et par la publicité de produits vantés lors de ses émissions (matériel de survie, compléments alimentaires, livres, etc.), voit dans la fermeture de ses comptes une validation de ses théories, et a profité de l’occasion pour lancer une contre-offensive.

« La censure de masse des conservateurs et des libertariens explose. (…) Mais vous êtes important dans ce combat. Votre voix est importante. Votre liberté de pensée est importante. Ne vous trompez pas, vous êtes aussi important que n’importe qui dans l’establishment antiaméricain », explique un nouveau message appelant aux dons, affiché sur toutes les pages d’Infowars. Le logo du site a été complété par une mention « censuré », et ses vidéos démarrent désormais par un message annonçant « si vous recevez ce message, vous êtes la résistance ».

La contre-offensive d’Alex Jones semble porter, au moins temporairement, ses fruits : ses applications pour Android et iPhone, qui n’ont pas été bloquées par Google et Facebook, ont connu un impressionnant pic de téléchargements ces derniers jours. « Téléchargez l’application gratuite tant que vous le pouvez encore », répète Infowars sur Twitter.