L’avis du Monde - A voir

Le titre du deuxième et précédent long-métrage de David Robert Mitchell était It Follows (2014). Il y était question de décrire l’état d’adolescence à la lumière du ­cinéma d’épouvante. Ce qui « suivait » les protagonistes était ce qui les menaçait, et l’angoisse provenait d’abord de cette incertitude quant aux intentions de celui ou celle qui, dans la rue, se mettait à vous emboîter le pas. Le motif de la filature, ramené dans ce cas à une figure anxiogène, a certainement eu un destin dans l’histoire du cinéma qui dépassait les ­contraintes du récit policier. Le héros du Vertigo d’Alfred Hitchcock, incarné par James Stewart, ne se laissait-il pas prendre dans un piège qu’il se construisait lui-même en suivant Kim Novak ?

Under the Silver Lake s’identifie régulièrement, durant les 2 h 19 que dure la projection, à ce modèle. Sam, un flegmatique jeune homme fauché et en quête de célébrité à Los Angeles, se lance à la recherche de Sarah, une voisine draguée à la piscine de son motel le temps d’une soirée, qui s’est volatilisée à l’aube. Sa recherche prendra la forme d’un sarcastique et ingénieux jeu de l’oie géant. Il se lance dans une suite de filatures, justement, qui définiront un voyage initiatique et ésotérique, au cours duquel il devra déchiffrer des signes mystérieux dans les boîtes de céréales ou en écoutant des disques de musique à l’envers, afin de découvrir, in fine, la vérité sur le sort de la disparue tout autant que sur l’essence de la ville.

Un décor de théâtre total

Car Los Angeles est le sujet profond du film de David Robert Mitchell. Tous les personnages que son dérisoire héros sera amené à suivre, à rencontrer, à affronter même, sont les émanations exemplaires d’un endroit qui a depuis longtemps dépassé son existence concrète pour devenir un lieu de fantasmes et un objet de désir. Under the Silver Lake conclut à une identité parfaite entre la réalité de la ville et sa dimension symbolique, mythologique et libidinale. Les pérégrinations tragi-comiques de Sam tissent la toile d’un rêve qui serait devenu partiellement réel. Avec ses parties déjantées, ses sectes new age, ses prostituées carnavalesques, Los Angeles ne s’y réduit pas seulement à Hollywood, au cinéma et à sa capacité de fascination, mais se dévoile comme un décor de théâtre total, d’où partiraient toute la culture et toutes les rêveries du monde occidental.

Hantée par de subliminaux souvenirs (tel celui de Marilyn Monroe, star sacrificielle tout autant qu’icône warholienne), la ville carbure au fantasme, mais aussi au sexe réel. La poésie y est indissociable d’une trivialité, voire d’une vulgarité parfois réjouissante, comme l’atteste la franchise crue des situations, bien éloignée de la chasteté de la production américaine courante. Ce thriller métaphorique emprunte au film noir une rhétorique qu’il retourne de façon pince-sans-rire, mélangeant à plaisir les genres et les sensations. L’intérêt réside dans cette manière inventive de décrire un univers dont l’irréalité serait constitutive de sa réalité même. Under the Silver Lake propose un monde flottant, et la métaphore aquatique contenue dans le titre induirait comme une identité singulière de la texture de Los Angeles.

Si le personnage principal retrouve une forme de réel dans le lit d’une voisine, femme mûre aimant la chair fraîche, il aura auparavant découvert un des secrets cachés de l’eldorado californien. Un secret qui désignerait les rois de Beverly Hills et les princes d’Hollywood comme l’équivalent des monarques de l’ancienne Egypte, une allégorie que filait déjà Maps to the Stars, de David Cronenberg, même si, ici, l’appel à la mythologie est une manière de souligner la dimension dérisoire de la Cité des anges.

UNDER THE SILVER LAKE : BANDE ANNONCE
Durée : 02:18

Film américain de David Robert Mitchell. Avec Andrew Garfield, Riley Keough (2 h 19). Sur le Web : www.le-pacte.com/france/prochainement/detail/under-the-silver-lake, www.facebook.com/UnderTheSilverLake, a24films.com/films/under-the-silver-lake

Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 8 août )

A l’affiche également

  • Darkest Minds : Rebellion, film américain de Jennifer Yuh Nelson
  • Neuilly sa mère, sa mère !, film français de Gabriel Julien-Laferrière et Djamel Bensalah