Sur les rives de l’Orbieu, devant l’abbaye de Lagrasse. / D.R.

Comme chaque deuxième semaine du mois d’août, le village de Lagrasse devient, jusqu’au samedi, un centre intellectuel de haute volée, ouvert à tous, offrant quotidiennement le plaisir matinal d’un atelier de grec ancien ou de philosophie, l’occasion d’assister à un séminaire de cinéma ou, à l’heure de l’apéro, celle d’écouter les « conversations sur l’histoire » proposées par Patrick Boucheron, professeur au collège de France, sous l’ombre généreuse de la vieille halle. Conférences et lectures occupent la fin d’après-midi et la soirée.

Une nouvelle fois, le Banquet du livre a fait la preuve de sa singularité dans sa façon unique de mêler à l’exigence de la pensée une proximité des corps toute démocratique. Car c’est bien cela, « Lagrasse » : croiser, au détour d’un chemin en contrebas de l’abbaye, Marie NDiaye, venue de Berlin faire lecture de la pièce qui sera créée en 2019 à Strasbourg par Stanislas Nordey. Puis apercevoir dans le cellier du bâtiment transformé en librairie par l’institution toulousaine Ombres Blanches, la silhouette de Marielle Macé, la théoricienne de la littérature, ou reconnaître, penché sur des ouvrages, Achille Mbembe, venu d’Afrique du Sud où il enseigne.

Campus éphémère et à ciel ouvert

Le philosophe donnait une conférence mardi, précédant dans l’exercice des gens aussi divers que le linguiste Jean-Claude Milner, le philosophe italien Emanuele Coccia, l’auteur de La Vie des plantes (Payot, 2016), ou l’historien Romain Bertrand. Sorte de campus éphémère et à ciel ouvert, le Banquet propose aussi des « rebonds » : sur les rives de l’Orbieu, la rivière qui épouse le village, les intellectuels invités se prêtent à l’heure où le soleil point, à un échange informel sur le thème de leur conférence de la veille.

C’est cet esprit cosmopolite et convivial, alliance du monde et du clocher, que la poignée de fondateurs a décidé de remettre en jeu. Car selon l’adage de Lampedusa, il faut que tout change pour que rien ne change. Et le moment est venu. Après vingt-trois ans d’existence, le public a besoin de se renouveler. Des tensions dans l’équipe et le licenciement, en 2017, du directeur de l’association Marque-page (qui organise les rencontres) attisent cette envie de renaissance.

En plein accord avec l’actuelle direction, le département qui possède la partie laïque de l’abbaye – l’autre étant occupée par des chanoines – a lancé une étude pour que le projet intellectuel et le lieu patrimonial se marient officiellement devant le ministère de la culture. Celui-ci pourrait, au vu du dossier, octroyer le label national de Centre culturel de rencontre, comme il l’a fait pour l’abbaye de Royaumont ou la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. Ce qui impliquerait un ancrage pérenne des idées et du livre dans le village mais aussi un changement d’échelle, de tempo et même d’envergure – de nouvelles missions viendraient échoir à la structure, quelle que soit sa future forme. Peu importe le flacon, diront certains, pourvu qu’on conserve l’ivresse du Banquet.