Editorial du « Monde ». Le 14 juin, les députés argentins avaient approuvé, par 129 voix contre 125, la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse en Argentine. Mercredi 8 août, leurs collègues du Sénat ne leur ont pas emboîté le pas : par 38 voix contre 31 et 2 abstentions, ils ont rejeté ce projet de loi et déçu les centaines de milliers de personnes qui s’étaient rassemblées à Buenos Aires et dans les principales villes du pays pour suivre les seize heures de la discussion parlementaire.

Pour autant, le débat sur le droit à l’avortement est loin d’être refermé en Argentine. Certes, le vote des sénateurs témoigne du solide pouvoir d’influence de l’Eglise catholique et des Eglises évangéliques, vigoureusement mobilisées contre ce texte, ainsi que du machisme persistant dans les provinces les plus traditionnelles. Mais la démonstration est désormais faite, confirmée par tous les sondages ces dernières semaines, que la société argentine a profondément évolué et est aujourd’hui majoritairement favorable au droit à l’IVG.

Issu du travail silencieux d’un collectif de 500 organisations de la société civile – la Campagne nationale pour le droit à l’avortement légal, sans risques et gratuit, créée en 2005 –, le projet de loi, rédigé par douze militantes, avait déjà été présenté six fois au Parlement depuis 2007. Sans succès : à chaque fois, il avait été ignoré et écarté de l’ordre du jour. Les impressionnantes mobilisations de ces derniers mois contre la violence de genre et le mouvement #NiUnaMenos (« pas une seule [femme] de moins »), dont une des revendications était l’avortement légal, ont convaincu le président argentin, Mauricio Macri, que le vent était en train de tourner et qu’il ne pouvait plus s’opposer à l’examen de ce texte.

Mobilisation de millions de jeunes filles

Taboue depuis toujours en Argentine comme sur tout le continent latino-américain – seuls Cuba en 1965 et l’Uruguay en 2013 ont légalisé l’avortement, tandis que le Chili l’a partiellement autorisé en 2017 –, la question de l’avortement est sortie de la clandestinité. Grâce, notamment, à la mobilisation de millions de jeunes filles, arborant les foulards verts, symboles de la lutte, accrochés à leur sac à dos, portés en bandana sur la tête ou noués autour du poignet.

En dépit de la déception provoquée par le vote des sénateurs, la détermination du mouvement favorable à la légalisation est intacte. « Nous avons déjà présenté sept fois le projet d’interruption volontaire de grossesse, nous le ferons une huitième, jusqu’à ce que ce soit voté », a promis Celeste Mac Dougall, membre de la Campagne.

D’ores et déjà, le pouvoir exécutif a prévu d’envoyer au Congrès, le 21 août, un projet de réforme du code pénal qui prévoit de supprimer les peines d’un à quatre ans de prison actuellement en vigueur contre les femmes qui recourent à l’IVG. De même, des parlementaires de la coalition au pouvoir, Cambiemos, ont proposé l’organisation d’un référendum. Enfin, il ne fait pas de doute que le débat sera relancé lors des élections présidentielle et législatives d’octobre 2019.

En tout état de cause, après quatre mois d’un débat intense – et qui a ouvert d’autres brèches, comme la demande de la séparation de l’Eglise et de l’Etat –, il est probable que la dépénalisation et la légalisation ne sont plus qu’une question de temps, en Argentine, et certainement dans le reste du continent, où les mouvements féministes sont plus actifs que jamais.