S’il est toujours possible de se battre à mains nues, la meilleure option reste encore de se cacher dans l’ombre. / Compulsion Games

Voilà. C’est fait. Le combat est perdu. Quand les Allemands sont revenus en 1943 avec leurs chars, les Anglais n’ont pu que ployer l’échine. Imposant leur poigne de fer sur les îles britanniques, les nouveaux maîtres n’ont pas tardé à commettre l’innommable : embarquer, avec la collaboration des autorités britanniques, tous les petits Anglais de moins de 13 ans, envoyés dans des camps de travail outre-Manche.

Comme tous les Anglais, Arthur, a assisté à cette scène intolérable. Un traumatisme d’autant plus grand pour lui qu’il a vu embarquer son petit frère Percy, lui le gamin à peine plus âgé. Vingt ans ont passé, mais Arthur n’a pas oublié sa promesse : un jour, il retournera chercher Percy sur le continent.

Pas évident, le pitch de We Happy Few, jeu vidéo sorti ce vendredi 8 août sur PC, PlayStation 4 et Xbox One. C’est un pays agonisant, dévoré par la culpabilité qui est ici décrit, un pays à l’abandon, en train de se laisser mourir, voire très littéralement de se suicider. Pas facile, de raconter ça en jeu vidéo.

We Happy Few | Launch Trailer
Durée : 02:30

Bonne humeur inquiétante

Pas facile à vivre non plus. Alors pour oublier cette réalité et leur lâcheté, les Britanniques se sont dans We Happy Few réfugiés dans la joy, drogue bien nommée. C’est une pilule rose à gober dès que ça ne va pas bien. Qu’ils dépriment, doutent, ou, tout simplement, veulent s’oublier, ces survivants gobent. Et tant pis (ou tant mieux ?) s’ils perdent progressivement la mémoire, ne savent plus très bien s’ils ont gagné ou perdu la guerre, si les Allemands ont vraiment embarqué les gamins, ni même, dans le cas d’Arthur, si son frère existe vraiment.

Dès la joy avalée, les mauvais souvenirs et les pensées négatives disparaissent dans une explosion de couleur. Cette Angleterre des années 1960 alternatives redevient alors pop et acidulée, joyeuse et insouciante. Ceux qui doutent encore peuvent, doivent même, mettre un masque blanc au sourire crispé, qui les condamne à une bonne humeur inquiétante. Rasséréné, Arthur peut reprendre son boulot de journaliste qui, dans cet univers qui évoque celui d’Orange mécanique, consiste à censurer les archives trop déprimantes.

Et puis un jour, Arthur arrête de prendre sa joy. C’est là que l’aventure commence.

Particulièrement généreuse

Depuis l’annonce de We Happy Few il y a trois ans, on se demandait bien à quoi elle pourrait ressembler, cette fameuse aventure. Grande épopée uchronique à la Bioshock, comme le laisse supposer son esthétique art déco ? Jeu d’infiltration à la Dishonored, sur lequel a travaillé son créateur, Guillaume Provost ? Jeu de combat bizarre à la Zeno Clash 2, avec ses rixes à mains nues et son univers coloré, décadent, dissimulant une réalité apocalyptique ?

Il y a effectivement un peu de tout ça. Et en tout cas, We Happy Few ne ressemble plus du tout au prototype disponible sur Steam depuis 2016, jeu de survie évoquant un Sir, You Are Being Hunted de luxe.

Oubliez le monde à chaque fois différent, généré à chaque partie. Oubliez la nécessité de ramasser tout ce qui traîne pour fabriquer armes et filtres à eau : il faut encore se nourrir, boire, fabriquer ses bandages et autres équipements, mais c’est désormais moins une obligation qu’un bonus. Le mode de jeu survie pur et dur existe cela dit toujours, comme un mode de jeu alternatif, mais il n’était pas disponible à l’heure d’écrire ces lignes.

Sur son chemin, le joueur tombera sur de nombreuses missions annexes. Ce sont rarement les plus passionnantes. / Compulsion Games

Non, le mode « Histoire » de We Happy Few, c’est avant tout une quête. Celle d’Arthur pour s’échapper de sa prison dorée. Son monde est un petit archipel, plein d’îles, de ponts et de portes, souvent fermées, qu’il va falloir progressivement décloisonner en rendant les bons services aux bonnes personnes.

Chemin faisant, Arthur va visiter des villes où il devra tenter de se fondre dans la foule d’honnêtes citoyens défoncés à la joy (quitte à en prendre lui-même et à flirter avec les crises de manque), ou au contraire frayer parmi les parias interdits de drogues, un peu à cran dans les ruines de leurs hameaux maudits.

Arthur rencontrera des tas de personnages flippants, flippés aussi, mais tous hauts en couleur. Il se faufilera dans les buissons, attendra la nuit pour cambrioler une maison, bricolera des tas d’améliorations, et mènera, pêle-mêle, des combats en arène, des recherches scientifiques, et des enquêtes au sein d’un consortium industriel – il est journaliste, après tout.

Et tout ça n’est que le premier chapitre d’une aventure particulièrement généreuse.

Trop superficiel

Etrangement, dans un monde plutôt ouvert, cette quête surprend par sa linéarité. C’est un chemin balisé, toujours surprenant certes, toujours renouvelé surtout, mais qui laisse finalement que peu de marge de manœuvre au joueur et surtout, ne lui propose jamais d’expérimenter très loin avec les mécaniques du jeu.

Oui on peut s’infiltrer, oui on peut se battre, oui on peut bricoler, oui on développe des compétences en gagnant des points d’expérience. C’est toujours un peu utile. Mais jamais déterminant.

Les « Rabats-joies », des parias devenus allergiques à la drogue, haïssent Arthur, toujours capable d’en prendre. / Compulsion Games

Sa direction artistique est folle, et ses idées (la drogue qui, aussitôt gobée, transforme cette Anglerre pluvieuse en pays de cocagne rayonnant) régulièrement brillantes. Mais au fond, cela ne va jamais très loin.

Chaque énigme (« comment rentrer dans ce club sado-masochiste ? ») est ainsi immédiatement désamorcée (« en ramassant le carton d’invitation qui traîne au sol, juste à côté de la sonnette »). Chaque challenge (« que faire si je me fais repérer par les bobbies [les policiers anglais au chapeau caractéristique] ») est facilement contourné (« je cours, je me cache trente secondes et je reviens comme si de rien n’était »).

C’est le défaut de We Happy Few, jeu qui donne l’impression d’avoir commencé comme un bête jeu de survie, et qui, parce qu’il était trop beau et trop inspiré pour son propre bien, aurait revu en cours de route ses ambitions à la hausse. Alors ses créateurs sont partis chasser sur les terres de Bioshock, de Dishonored. Mais sans forcément avoir les épaules pour le faire : ce n’est que le deuxième jeu du modeste studio Compulsion Games.

Le résultat, c’est un jeu un peu maladroit mais plaisant, qui donne envie de suivre de près les prochaines productions de ses créateurs. Microsoft ne s’y est pas trompé, et vient de racheter ce studio de Montréal.

L’avis de Pixels

On a aimé :

  • L’ambiance incroyable, hallucinée et so british
  • Bourré d’idées, comme la drogue qui modifie la vision du monde
  • L’univers particulièrement intrigant, croisement de 1984, du Meilleur des mondes et d’Orange mécanique

On a moins aimé :

  • L’intelligence artificielle franchement défaillante
  • Des bugs étranges (tels que des bâtiments qui n’apparaissent pas)
  • Trop long et trop dispersé pour son propre bien

C’est plutôt pour vous si :

  • Vous avez envie d’un jeu capable de vous surprendre

Ça n’est plutôt pas pour vous si :

  • Vous voulez un jeu parfaitement maîtrisé, qui sait où il va et y va à fond

La note de Pixels :

7 gélules de joy par jour/10 jours