Un bureau de change à Ankara, le 10 août. / ADEM ALTAN / AFP

« Si vous avez des dollars, des euros ou de l’or sous votre oreiller, allez dans les banques pour les échanger contre des livres turques. C’est une lutte nationale. » Vendredi 10 août, le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui ne cesse de dire qu’un « complot » étranger est responsable de l’effondrement de la livre turque, a une nouvelle fois appelé ses concitoyens à se rendre aux bureaux de change pour soutenir leur devise.

La dégringolade de celle-ci est vertigineuse et laisse désormais craindre une contagion aux marchés financiers. Elle a en effet plongé de près de 20 % sur la seule journée de vendredi, atteignant brièvement 6,87 dollars, son plus bas historique. Depuis le début de l’année, elle a perdu 40 % de sa valeur.

  • Les sanctions américaines aggravent la chute

L’hémorragie de la livre a accéléré ces derniers jours sous l’effet de la grave crise diplomatique avec les Etats-Unis, liée à la détention en Turquie d’un pasteur américain. Vendredi, le président américain Donald Trump a annoncé une augmentation sévère des taxes à l’importation sur l’acier et l’aluminium turcs. Celles-ci vont respectivement passer de 25 % et 10 % à 50 % et 20 %.

Cette escalade inquiète les investisseurs : ils retirent leur argent d’Istanbul et Ankara, ce qui accentue encore la chute de la livre, déjà fragilisée par les faiblesses de l’économie.

  • Les fragilités économiques du pays

La Turquie est minée par d’importants problèmes structurels. Ses banques sont en mauvaise santé. L’inflation galopante (16 % en juillet en rythme annuel) rogne le pouvoir d’achat des ménages. Ces dernières années, l’endettement des entreprises turques a explosé : elles ont beaucoup emprunté en dollar, ce qui les rend vulnérables aux variations de taux de change. « Le pays affiche un important déficit courant : il dépend des financements étrangers, notamment en dollar », ajoute Christopher Dembik, économiste chez Saxo Banque.

Le financement de ce déficit est devenu plus compliqué et cher depuis que la Réserve fédérale américaine, face à la bonne santé économique des Etats-Unis, a commencé le relèvement de son taux directeur. Celui-ci tire le billet vert à la hausse face aux autres devises et renchérit le coût des emprunts pour les entreprises turques endettées en dollar. « Là encore, cela pousse les investisseurs doutant de la solidité de la Turquie – comme des autres pays émergents fragilisés – à quitter le pays pour aller placer leur argent aux Etats-Unis, où la hausse des taux offre de meilleurs rendements », explique Philippe Waechter, chef économiste d’Ostrum Asset management.

  • Le manque de réactivité de l’Etat et de la banque centrale

« Les marchés s’inquiètent également de l’inaction de la banque centrale face à la situation », analyse Aneeka Gupta, stratège chez WisdomTree, une société financière. Celle-ci renâcle en effet à prendre les mesures indispensables pour stopper l’effondrement de la livre et juguler l’inflation. A commencer par le relèvement de son taux directeur – un remède certes douloureux pour les entreprises et les ménages, car il renchérit le loyer de l’argent, mais néanmoins indispensable.

Ces derniers mois, le président Erdogan a resserré son contrôle sur l’institut monétaire, qui n’est désormais plus indépendant. Il n’a plus aucune crédibilité aux yeux des investisseurs – ce qui les pousse à fuir un peu plus vite encore.

  • Des remèdes douloureux à venir

Si l’effondrement de sa devise se poursuit, la Turquie sera, tôt ou tard, contrainte de faire appel à une aide extérieure. Cela pourrait être celle du Fonds monétaire international (FMI) – mais l’on peut douter que le président Erdogan s’y résolve. L’autre option serait d’imposer un strict contrôle des capitaux, afin d’enrayer les sorties d’argent du pays, tout en resserrant les politiques budgétaire et monétaire.

Sur le long terme, seules des réformes de fond visant à assainir le système bancaire, renforcer la régulation financière et rétablir la confiance seront susceptibles de tirer l’économie turque de la crise.