L’écharpe des « petits maires » est de plus en plus lourde à porter. « On se sent inutiles, il y a une désespérance face à l’arrogance de l’Etat », confie Philippe Rion, maire démissionnaire de Castillon (Alpes-Maritimes). Usés par leur fonction, de plus en plus d’entre eux capitulent à moins de deux ans de la fin de leur mandat.

Si la démission la plus fracassante fut sans nul doute celle du maire de Sevran (Seine-Saint-Denis), Stéphane Gatignon, en mars, qui dénonçait le « mépris de l’Etat pour les banlieues », les maires de petites villes, parfois au bord du burn-out, sont tout aussi nombreux à se décourager.

Pêle-mêle, les premiers magistrats dénoncent la baisse des dotations publiques, la suppression de la taxe d’habitation, la baisse des contrats aidés, l’augmentation du périmètre de décision avec la montée en puissance des intercommunalités, ou encore l’arrogance de l’administration territoriale. Ils sont nombreux à faire part de leur sentiment d’être « étranglés, tant financièrement que matériellement ». D’où une vague de démissions inédite.

« L’impression de flouer ceux qui m’avaient élu »

Selon un calcul de l’Agence France-Presse, réalisé à partir du Répertoire national des élus (RNE) en tenant compte de l’effet du non-cumul des mandats, le nombre de maires ayant quitté leur fonction depuis 2014 est en hausse de 55 % par rapport à la précédente mandature. Ils seraient 500 selon une estimation de l’Association des maires de France (AMF), interrogée par Franceinfo ; 1 021 depuis les dernières élections municipales de 2014, selon l’analyse du RNE, exploitée par Le Figaro.

Il s’agit ici de départs volontaires et non de démissions subies, liées par exemple au respect du non-cumul des mandats, précise Le Figaro, soulignant que le chiffre a presque doublé (+ 90 %) par rapport à la précédente mandature, à la même période.

« Il y a des mois où je ne savais plus comment payer les employés », déplore Philippe Rion, qui a dû « tailler sur tout », y compris en « arrêtant les commémorations nationales », avant de finir par augmenter la taxe d’habitation. « Psychologiquement, c’est très dur, on essuie les reproches des uns et des autres, raconte-t-il à Franceinfo. J’avais l’impression de flouer ceux qui m’avaient élu. »

« Les communes ne sont qu’une variable d’ajustement financière aux yeux de l’Etat », critique l’ancien maire dont le village de 380 habitants a enregistré une baisse de 50 % en cinq ans de sa dotation globale de fonctionnement (DGF), principale contribution financière de l’Etat aux collectivités. Selon l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL), la DGF représentait 14,8 % des recettes de fonctionnement des communes en 2017, contre 21 % en 2013.

Malgré une légère hausse de son montant global en 2018, près de la moitié des communes ont vu leur dotation baisser cette année, selon l’AMF, qui a réclamé mi-juillet la création « en urgence » d’un fonds spécial pour les communes les plus en difficulté.

La suppression de la taxe d’habitation, qui représente 34 % des recettes fiscales des communes, et la forte baisse des contrats aidés, considérés comme une bouffée d’oxygène dans les campagnes, ont encore accru les mécontentements.

Fusion dans des plus grosses intercommunalités

Mais c’est la refonte de la carte intercommunale en 2016, issue de la loi NOTRe, qui a suscité le plus de dissensions, les maires devant se plier à des fusions souvent coûteuses en temps et en énergie pour intégrer des intercommunalités de plus en plus grosses.

« Il y a une concentration des pouvoirs au sein des intercommunalités et les maires ont le sentiment de devenir les exécutants de décisions prises ailleurs », analyse Luc Rouban, chercheur au Cevipof. « Ils se retrouvent noyés dans un ensemble d’élus et voient leur capacité d’imagination et d’impulsion encore plus limitée, avec l’impression d’un dessaisissement », abonde Emeric Bréhier, de la Fondation Jean-Jaurès.

Gilbert Parmentier, maire démissionnaire des Aulneaux (Sarthe), a vu passer le périmètre de la communauté de communes à laquelle il appartient de 13 000 à 29 000 habitants et de 43 à 78 représentants.

« C’est très usant, ça fait des réunions à rallonge, et les maires des petites communes sont souvent tournés en dérision quand ils prennent la parole face à des élus dont la politique est le métier », assure cet ancien instituteur, pourtant « dans les conseils municipaux depuis trente ans ».

« Demain, il ne restera plus au maire que le privilège de l’état civil et de l’écharpe », regrette André Laignel, vice-président délégué de l’AMF, pour qui « l’affaiblissement, voire la disparition des communes » constitue « un recul de la démocratie et du vivre-ensemble ».

Mission complexe et indemnités dérisoires

Parallèlement, la mission du premier édile n’a cessé de se complexifier, avec « beaucoup de travail administratif et d’assistance sociale, et des indemnités très basses dans les petites communes », constate Luc Rouban.

En effet, moins la commune est peuplée, plus le montant de l’indemnité perçue par le maire sera faible. Ainsi, celui d’une commune de moins de 500 habitants – ainsi la majorité des communes françaises – ne peut pas toucher plus de 17 % de l’indice de référence, soit 658,01 euros. La rémunération double ensuite dans les communes de 500 à 999 habitants, et passe à 1 664,38 euros dans la fourchette supérieure (1 000 à 3 499 habitants).

Dans un communiqué justifiant sa démission en juin, la maire de Guérande (Loire-Atlantique), Stéphanie Phan Thanh, explique s’être engagée parfois « au-delà de [ses] forces » et « souvent au détriment de [sa] famille » dans un mandat qui nécessite de « s’investir à 200 % ».

Face à cette situation, les associations réclament un véritable statut de l’élu, avec une augmentation des indemnités, un retour à la vie professionnelle facilité et une révision des conditions dans lesquelles la responsabilité pénale des maires peut être engagée.

« A la limite du burn-out »

Du côté des administrés, les exigences n’ont pas diminué, au contraire. « Si un trottoir est un peu défoncé, il faudrait que le lendemain ce soit réparé », se plaint Claude Descamps, maire démissionnaire de Prayssac (Lot). « Les gens veulent régulièrement vous faire des procès », poursuit-il, ajoutant avoir été « à la limite du burn-out ». L’ancien édile a présenté sa démission au préfet après que son médecin lui a dit : « Arrête tes conneries ou tu risques de mourir. »

Selon le baromètre 2018 du Cevipof, la confiance des Français envers leur maire a baissé de neuf points en un an. « Le niveau d’attente augmente d’autant plus qu’il y a un report de problèmes nationaux sur le local, comme la disparition des services publics », observe M. Rouban.

Inquiétude d’une disparition de la fonction

Tous s’inquiètent de plus en plus ouvertement de la disparition de la fonction, ou du moins de sa réduction « à l’état civil » et aux affaires « de voisinage ». « Je ne sais pas si la finalité ce n’est pas d’user les maires, de dégoûter tout le monde pour faciliter la disparition des communes », s’inquiète auprès de Franceinfo, Vanik Berberian, maire de Gargilesse-Dampierre (Indre) et président de l’AMRF.

Ce dernier estime que « l’aristocratie de la haute administration » a du mal à saisir le quotidien des maires. Au moment de sa prise de parole devant Edouard Philippe lors de la Conférence nationale des territoires, il se souvient d’ailleurs n’avoir pu s’empêcher de sourire en pensant à ce qu’il était en train de faire la veille, raconte-t-il à Franceinfo : « Le premier ministre devait être à mille lieues d’imaginer que je débloquais une jeune fille coincée dans les toilettes publiques ! », s’amuse-t-il. Et Philippe Rion d’abonder : « Je n’ai pas fait l’ENA, mais je sais gérer une commune ! »

Déjà, lors des dernières élections municipales de 2014, certaines villes avaient peiné à trouver des volontaires. Sans pour autant régler le problème de fond : « Des candidats se sont présentés pour dépanner, en prévenant dès le départ qu’il ne fallait pas compter sur eux pour s’investir », raconte le président des maires ruraux. Une situation qui risque de ne pas s’améliorer lors des prochaines élections municipales, en 2020, où l’AMRF craint déjà un déficit de candidats.