Une manifestante pro-IVG brandit une pancarte sur laquelle on peut lire « Avortement légal maintenant », à Buenos Aires, en Argentine, le 8 août. / MARCOS BRINDICCI / REUTERS

Que va-t-il se passer, en Argentine, après le rejet, jeudi 9 août, par le Sénat du projet de loi sur la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ? Malgré la victoire des « pro-vie » et leur slogan « Sauvons les deux vies », en référence à la vie de la femme enceinte et à celle du fœtus, le débat sur le droit à l’avortement est loin d’être refermé en Argentine.

Au contraire. Non seulement « ce n’est plus un sujet tabou », comme l’a reconnu le président de centre-droit Mauricio Macri, personnellement opposé à l’avortement, mais l’IVG sera sans nul doute l’un des grands thèmes de la campagne pour les élections présidentielle et législatives d’octobre 2019.

Le vote des sénateurs a témoigné avant tout de l’influence, historique en Argentine, de l’Eglise catholique – renforcée par la présence d’un pape argentin au Vatican – mais aussi plus récemment des Eglises évangéliques, qui se sont fortement mobilisées contre le projet de loi. Et pourtant, tous les sondages ces dernières semaines montrent que la société argentine, traditionnellement patriarcale, a évolué, et qu’elle est aujourd’hui majoritairement favorable au droit à l’IVG, qui s’est imposé comme une question de santé publique.

En outre, l’extraordinaire mobilisation des féministes argentines, suivie du vote négatif au Congrès, a eu une énorme répercussion dans toute la région mais aussi dans la communauté internationale. « Le vote de la honte », a dénoncé Amnesty International.

  • Quelles sont les prochaines échéances institutionnelles ?

Dans seulement quelques jours, l’IVG sera à nouveau un thème de débat. Le pouvoir exécutif doit en effet soumettre au Congrès, le 21 août, un projet de réforme du code pénal – datant de 1921 – qui inclut une dépénalisation de l’avortement, toutefois partielle. L’avortement continuera d’être considéré comme un délit. Mais il ne sera pas punissable si la grossesse est le résultat d’un abus sexuel, si elle met en danger la vie de la femme ou sa santé, physique ou mentale. Ne sera pas non plus punissable le médecin qui pratique un avortement, s’il a le consentement de la femme et si la vie de celle-ci est en danger.

Aujourd’hui, une femme qui avorte risque entre un et quatre ans de prison, et tous ceux l’ayant aidée encourent jusqu’à six ans de prison. En dépit de ces peines, il y a entre 370 000 et 522 000 avortements clandestins par an, selon une étude du ministère de la santé datant de 2005.

Au lendemain du débat au Sénat, le président Macri a annoncé un plan pour renforcer l’éducation sexuelle et la distribution de moyens de contraception pour prévenir les grossesses non désirées des adolescentes, avec la participation des ministères de la santé, du développement social et de l’éducation.

  • Que devient la mobilisation des militantes de la Campagne nationale pour le droit à l’avortement légal, sans risques et gratuit, un collectif de la société civile à l’origine du projet de loi actuel ?

Dès le mois de mars 2019, le collectif pourrait à nouveau présenter un projet de loi au moment de la réouverture des débats parlementaires, après la trêve de l’été austral. Reste à savoir si le nouveau projet sera identique à celui présenté en juin à la Chambre des députés, puis en août au Sénat, ou s’il présentera des modifications.

Une autre stratégie pourrait consister à attendre, 2020, après les élections. Les élections d’octobre 2019 marquent en effet l’entrée en vigueur de la « ley de cupos », approuvée en 2017, qui assure la parité de genre dans la liste des candidats aux législatives. Un renouvellement, avec une féminisation et un rajeunissement du Congrès, pourrait augmenter les chances de voir approuver la légalisation de l’IVG.

« Nous avons marqué une époque et changé la politique nationale. Nous avons obtenu la dépénalisation sociale de l’avortement », revendique le collectif, dans un communiqué le 10 août, convaincu « que la dépénalisation et la légalisation ne sont plus qu’une question de temps ».

Les mobilisations vont se poursuivre. Le collectif exige l’application effective de la loi d’Education sexuelle intégrale et le Programme de santé sexuelle et procréation responsable dans toutes les provinces argentines, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Il déclare, en outre, les autorités responsables de la sécurité des militantes, dénonçant les attaques et les menaces dont elles ont été victimes depuis le vote favorable des députés à la dépénalisation de l’IVG, le 14 juin.

« A partir de maintenant, chaque mort et chaque femme emprisonnée, à la suite d’un avortement, sera la responsabilité du pouvoir exécutif national et des 40 sénatrices et sénateurs, membres du pouvoir législatif, qui se sont abstenus ou on voté contre notre droit à la vie, à la santé et à la reconnaissance de notre dignité », ajoute le communiqué.

  • Quelles sont les conséquences politiques du vote au Sénat ?

De profondes divisions sont apparues, pour la première fois, au sein de la coalition de centre-droit au pouvoir, Cambiemos (centre-droit) mais également dans l’opposition péroniste.

Dès le lendemain du vote au Sénat, des parlementaires de Cambiemos, qui ont voté en faveur du projet de loi sur la légalisation de l’avortement, ont proposé l’organisation d’un référendum. Une initiative qui a été pour l’instant rejetée par le président Macri, qui ne cache pas son ambition de briguer un second mandat présidentiel.

Pour leur part, les militantes féministes, qui se sont mobilisées par milliers au cours des derniers mois, ont appelé à ne pas voter pour des candidates/candidats qui se sont opposés à la légalisation de l’avortement. Parmi eux, Maria Eugenia Vidal, la gouverneure de la puissante province de Buenos Aires, circonscription électorale décisive. Alliée de M. Macri et bénéficiant jusqu’à présent d’une image favorable dans les sondages, elle s’est publiquement et farouchement opposée à la dépénalisation de l’IVG.

Le débat sur l’IVG a en outre ouvert d’autres brèches, comme la demande de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, une polémique ancienne qui a ressurgi dans la société argentine sous la houlette des féministes. Une campagne a déjà été lancée sur les réseaux sociaux, réunissant, en quelques jours des milliers de signatures, avec pour symbole un foulard de couleur orange. Actuellement, l’Etat fédéral, laïque, soutient le culte catholique, en vertu de l’article 2 de la Constitution argentine. Les salaires des évêques sont payés par l’Etat, donc avec les impôts des citoyens. L’Eglise bénéficie également d’exonérations d’impôts, de subventions aux collèges religieux et de fonds destinés à la maintenance des églises.

Vote sur l’IVG en Argentine : le pays coupé en deux