Grande silhouette dégingandée, sourire chaleureux et comportement de cow-boy… Jim Ratcliffe, l’homme le plus riche du Royaume-Uni, partisan du Brexit, est un fervent soutien de la déréglementation et des impôts les plus bas. Il vient de mener ce point de vue à sa conclusion logique, en s’installant à Monaco, où il n’y a pas d’impôt sur le revenu pour les étrangers. L’information, d’abord révélée par le Daily Telegraph, a été confirmée au Monde par une source proche de l’homme d’affaires.

A la tête d’une fortune estimée à 21 milliards de livres (23,5 milliards d’euros), selon le classement annuel du Sunday Times, Jim Ratcliffe, qui s’est enrichi grâce à la pétrochimie avec son entreprise Ineos, semble confirmer une tendance de fond chez les riches partisans du Brexit : préparer ses arrières, au cas où. Jacob Rees-Mogg, chef de file des députés brexiteurs, a fait de même : la société de gestion qu’il a fondée, Somerset Capital Management, a lancé deux fonds d’investissement en Irlande. L’an dernier, John Redwood, autre député eurosceptique de longue date, et par ailleurs chef stratégiste de la société de gestion Charles Stanley, a conseillé à ses clients d’investir leur argent hors du Royaume-Uni.

Son seul credo : le business

Jim Ratcliffe n’y voit sans doute pas de contradiction. L’homme a toujours bataillé contre les impôts, et sa vision du Brexit n’est pas celle d’un retranchement, mais au contraire d’une plus grande « liberté législative et bureaucratique », explique-t-il dans sa récente autobiographie (The Alchemists, the Ineos story, de Jim Ratcliffe et Ursula Heath, éditions Biteback publishing, 2018).

En 2008, alors que son empire pétrochimique était en sérieuse difficulté, croulant sous les dettes, il n’avait pas hésité à menacer le premier ministre d’alors, Gordon Brown, de déménager son entreprise en Suisse si ce dernier ne baissait pas les impôts. N’ayant pas obtenu gain de cause, il avait mis son projet à exécution, déplaçant le siège à Rolle, entre Genève et Lausanne. Une affaire qu’il préférerait que tout le monde oublie ? Pas du tout. Il s’en vante. Dans son autobiographie, Jim Ratcliffe y consacre de longues pages et publie même une photo de lui devant ses bureaux helvétiques. Depuis 2016, à la suite de la baisse de l’impôt sur les sociétés réalisée par le gouvernement de David Cameron, le milliardaire a rapatrié son siège à Londres. Mais pour son argent personnel, lui qui vit de toute façon dans un avion, entre ses usines éparpillées entre l’Europe, les Etats-Unis et l’Asie, l’appât du gain a été plus fort.

Enfant de Manchester, premier de sa famille à aller à l’université, le self-made man n’est pas particulièrement impliqué en politique. S’il soutient le Brexit, il n’en a pas financé la campagne électorale. Il ne fait pas partie non plus des extrémistes qui pensent que le Royaume-Uni peut claquer la porte de l’Union européenne et tout laisser derrière lui. Mais d’après lui, un accord de libre-échange sera trouvé entre Londres et Bruxelles parce qu’il en va de l’intérêt de tous.

Son seul credo est celui du business. L’homme est un industriel, qui a fait toute sa carrière dans la chimie. Son monde est celui des cheminées, des hydrocarbures et de la concurrence. A la fin des années 1990, il a saisi une occasion unique : les grandes compagnies pétrolières vendaient leurs usines pétrochimiques, qu’elles ne jugeaient pas assez rentables. A coup d’emprunts, Jim Ratcliffe a pu les racheter et monter un empire. Aujourd’hui, il possède 73 usines à travers le monde, dont d’énormes raffineries en Ecosse et à Marseille. Il se lance depuis peu dans l’exploitation d’hydrocarbures et rêve d’être un des pionniers du gaz de schiste au Royaume-Uni.

Les syndicalistes de la raffinerie de Grangemouth, en Ecosse, tremblent encore de sa dureté en négociations : face à leurs grèves, Jim Ratcliffe a menacé de fermer le site ; les grévistes ont été forcés de reculer et d’accepter toutes les conditions de leur patron. En échange, réplique le milliardaire, ce site dont plus personne ne voulait a été relancé.

Le passionné de sport – il participe à des courses dans le désert, finance un bateau de l’America’s Cup… – s’est retrouvé dans le Brexit du libre-marché et de la concurrence, appelant à plus de dérégulation. Son départ à Monaco relève de la même logique. Et tant pis pour les électeurs qui ont choisi le Brexit parce qu’ils voulaient fermer les frontières, limiter l’immigration et mieux protéger leur région de la mondialisation.