Lenny, l’un des animateurs de Quidol, pendant l’enregistrement d’un show de mi-journée. / BASTIEN LION / LE MONDE

Quel est le point commun entre Cyril Hanouna, Julien Lepers et Arthur ? Outre leurs activités télévisuelles, ces trois personnalités ont flairé un filon : les applications de quiz en live. Elles s’appellent Bethewone, Flashbreak ou encore Quidol, et elles fleurissent sur nos smartphones depuis quelques mois. Elles atteignent entre 50 000 et 500 000 téléchargements sur le Play Store Android – les chiffres pour iOS ne sont pas publics. La raison de ce succès tient dans leur concept : faire gagner de l’argent à leurs utilisateurs.

Le principe est simple : une ou plusieurs sessions de quiz par jour à des heures fixes, entre neuf et douze questions, et un animateur. La plupart du temps, une somme de quelques centaines d’euros est partagée entre les candidats ayant répondu juste à l’intégralité des questions. Un fonctionnement hérité de HQ Trivia, une application américaine développée par les créateurs de Vine. HQ a connu un succès fulgurant, à tel point qu’elle a été nommée « Application de l’année » par le magazine Times en 2017. Elle culmine aujourd’hui à plus d’un million de téléchargements sur Android. Pas étonnant de voir qu’elle déclenche des vocations partout ailleurs.

REPLAY CASH SHOW - 05/05/18 12H30 ( Quiz Culture Générale )
Durée : 13:55

Mais le fonctionnement de ces applications soulève quelques interrogations. Des jeux gratuits, dénués de publicité, dans lesquels il est possible de gagner de l’argent… Difficile de ne pas se demander comment les entreprises qui sont derrière peuvent se financer.

Les quatre applications qui se disputent pour le moment le marché français ont toutes un modèle économique différent, avec un même mot d’ordre cependant : pas de publicité intempestive. Toutes collectent des données sur leurs utilisateurs, mais affirment ne pas les utiliser à des fins publicitaires.

Le leader du marché est chinois

Leader dans sa catégorie, Cash Show est en fait financé par Zenjoy, un géant du jeu mobile installé à Pékin, en Chine. Un avantage considérable qui permet à l’appli de « ne pas être inquiétée par l’arrivée de la concurrence », selon Thomas Reemer, producteur des versions européennes de Cash Show. Au-delà des sommes – gardées secrètes – injectées dans le projet, les jackpots en jeu à chaque quiz devraient bientôt pouvoir être sponsorisés par des annonceurs. M. Reemer explique leur démarche :

« Nous ne voulons pas prendre l’argent des utilisateurs et nous ne voulons pas mettre de la pub de manière brutale, il fallait que l’on trouve quelque chose entre les deux. La solution que nous avons choisie serait la suivante : un show dont le contenu serait centré autour des activités d’une marque, et où cette dernière sponsoriserait le jackpot qui, de fait, serait bien plus important que d’habitude. De cette manière, l’utilisateur n’est pas dérangé par la publicité. Le nom de la marque n’apparaîtrait qu’au moment du jackpot. Pendant le reste du quiz, nous glisserons des éléments plus subtils évoquant l’univers de la marque aux joueurs. Par exemple, si nous travaillons avec un magasin de bricolage, nous pouvons structurer l’écran pour évoquer un site de construction, avec du bois, des clous, des outils… L’important n’est pas de montrer la publicité mais de mettre en place une narration. »

Chez Bethewone, on réfléchit également à des moyens de rentabiliser les investissements. Développée depuis plusieurs années, « bien avant l’arrivée de HQ Trivia », selon son cofondateur, Laurent Alexandre, la technologie faisant fonctionner l’application a été pensée pour être « adaptative ». L’idée sera donc de « mettre à disposition la plate-forme pour d’autres sociétés, tout en imaginant des partenariats sur certains nouveaux formats prévus dans les mois à venir, et de la production pour d’autres diffuseurs ».

Vers une réglementation plus dure ?

Flashbreak est encore dans une autre optique. Rassurés par la médiatisation de leur application et la levée de fonds qui en a découlé, ses créateurs ont choisi de repousser la question de la rentabilité pour le moment, préférant se concentrer sur l’acquisition d’audience.

Actuellement, il n’y a en fin de compte que Quidol qui affirme gagner de l’argent, grâce à un système de jokers que l’utilisateur peut acheter dans le jeu, à trente centimes d’euro chacun. Ces bonus représenteraient 70 % des revenus de la start-up du même nom, le reste étant dû à « du sponsoring léger de certains formats », selon sa présidente, Sergine Dupuy.

L’interface des quiz étant assez sobre, les animateurs (ici, l’un des présentateurs de Quidol) doivent redoubler d’inventivité et de dynamisme pour maintenir l’implication des spectateurs. / BASTIEN LION / LE MONDE

Le hic, c’est que ce fonctionnement fondé sur des microtransactions, pour le moment légal, pourrait bien changer de statut juridique. Contactée par Le Monde, l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) explique avoir commencé à travailler sur ce dossier, sans avoir encore décidé quoi que ce soit pour le moment.

Avec Bethewone, Laurent Alexandre a en tout cas préféré ne pas prendre le risque. « Proposer des jokers à l’achat, c’est à la fois demander aux joueurs un sacrifice financier et donner l’avantage à ceux qui payent, ce qui fait que tout le monde n’est pas au même niveau. Pour le moment, ça a l’air de passer, mais quand l’Arjel se penchera vraiment sur la question, nous, on sera du bon côté de la ligne jaune », estime-t-il.

Digital natives ou start-uppers de 50 ans

Le profil des petites mains à l’œuvre derrière ces applications diffère également d’un cas à l’autre. Une grosse vingtaine de personnes travaillant depuis Berlin pour la version française de Cash Show, des intermittents du spectacle chargés de la production des émissions chez Bethewone et Flashbreak…

Chez Quidol, les salariés ont une trentaine d’années de moyenne d’âge, la déco est sobre mais cool à souhait, il y a une terrasse, des trottinettes électriques… L’appli est développée par une start-up crée par Red Pill, une société spécialisée dans l’entreprenariat. « Les animateurs sont des comédiens parfois issus du stand-up, parfois de YouTube, parfois de parcours plus classiques… », explique Sergine Dupuy. Les émissions sont enregistrées dans un étroit studio dans le sous-sol de la start-up.

Dans les locaux de Quidol, ambiance trentenaires détendus. / BASTIEN LION / LE MONDE

Finalement, un seul point rassemble tous les acteurs de ce marché : cette technologie serait l’avenir de la télévision. Ironiquement, chacune de ces sociétés pense avoir une longueur d’avance sur ses concurrents dans ce domaine. Il n’est pas anodin de voir un animateur – et producteur – comme Cyril Hanouna présenter pendant plusieurs semaines un quiz sur Flashbreak, devant une audience dérisoire en comparaison de celle de son émission sur C8. « De la même façon que la télévision a pris certains éléments à la radio, on a emprunté des idées à la télévision », rappelle Romain Salzmann, directeur général de Flashbreak.

La télévision, cible ou alliée ?

Pourtant, il y a aussi chez certains l’ambition d’enterrer le média phare du XXe siècle. « D’ici à quelques années, il y aura des dizaines de plates-formes comme la nôtre qui diffuseront des programmes sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur smartphone, affirme Thomas Reemer. Il y aura toujours du quiz, mais aussi de l’information, du divertissement, du sport… Tous basés sur des formats d’une quinzaine de minutes et diffusés en direct à un public qui pourra interagir avec le show en temps réel. » Là encore, tous sont d’accord : la « durabilité » passera par la multiplication des formats, qui viendront alimenter de véritables chaînes mobiles.

Quizik spécial Divalala by Benoît - 29 juin 2018
Durée : 32:57

Avec son plateau de 65 mètres carrés, sa régie équipée comme celle d’une chaîne de la télévision numérique terrestre (TNT) et son format paysage, il n’y a que Bethewone qui prend le contre-pied de ses concurrents sur ce point.

Un nouveau média, oui, mais pas nécessairement construit en opposition avec d’autres. « Ce format est bien l’avenir de la télévision, conclut Laurent Alexandre. Mais on peut faire l’un et l’autre, l’important étant juste de bien faire les deux. Après, moi j’ai un profil particulier, je suis un start-upper de 50 ans. Des gens qui pensaient réinventer la roue à l’arrivée d’Internet, j’en ai vu défiler plein. »