L’empereur du Japon Akihito et impératrice consort Michiko, à l’occasion du 73e anniversaire de la capitulation du Japon lors de la seconde guerre mondiale, à Tokyo, le 15 août. / TOSHIFUMI KITAMURA / AFP

L’empereur du Japon Akihito s’est exprimé pour la dernière fois, mercredi 15 août, lors de la cérémonie commémorant la fin de la deuxième guerre mondiale. Et pour la dernière fois avant son abdication en avril 2019, il a fait part de ses « regrets profonds » pour un conflit qui causa des millions de morts à travers l’Asie et le Pacifique. « Par une réflexion sur notre passé et avec à l’esprit des sentiments de regrets profonds, j’espère sincèrement que les ravages de la guerre ne se reproduiront jamais », a déclaré le souverain de 84 ans lors d’une allocution de deux minutes prononcée au cours de l’événement organisé au Nippon Budokan, à Tokyo.

Son émouvante intervention traduit son indéfectible volonté d’exprimer son repentir pour un conflit mené au nom de son père, Hirohito (1901-1989). Akihito avait 11 ans en août 1945. Quand son père prononça l’allocution radiophonique annonçant la reddition du Japon, il se trouvait dans les montagnes d’Okunikko, dans le département de Gunma, au nord de Tokyo, où il était évacué.

Depuis le début de son règne, en 1989, outre ses discours, l’empereur a multiplié les déplacements dans les régions ayant été le théâtre des affrontements les plus violents, l’île de Saipan, les Philippines ou encore Okinawa, et dans les anciennes colonies. A Séoul, en 1990, il exprima ses « remords » pour la colonisation nippone de la Corée (1910-1945). A Pékin, deux ans plus tard, il évoqua « les grandes souffrances infligées au peuple de Chine » par son pays.

Divergence entre Akihito et Shinzo Abe

Contraint à une réserve dans le domaine politique – il est « symbole de l’Etat et de l’unité du peuple » selon l’article premier de la Constitution – il a toutefois su faire passer son message en faveur de la paix, exprimant de plus en plus souvent clairement des remords pour les agissements du Japon des années 1930-1940. Le 15 août 2015, lors de la cérémonie du 70e anniversaire de la fin du conflit, il introduisait pour la première fois l’expression « profonds remords » dans son discours. Il l’a ensuite répétée à chaque fois.

Son positionnement, qui s’ajoute à ceux en faveur de la démocratie et du pacifisme, tranche avec l’orientation politique du premier ministre Shinzo Abe, qui veut modifier la Constitution et notamment son article 9 affirmant le renoncement du Japon à la guerre, prône une augmentation des dépenses de défense et apparaît comme fermement nationaliste.

Depuis son retour au pouvoir, en 2012, les discours du 15 août de M. Abe diffèrent de plus en plus de ceux de ses prédécesseurs qui, depuis 1994, évoquaient la responsabilité du Japon et exprimaient des regrets. Le premier ministre ne les mentionne plus. Mercredi, il a simplement juré de « ne jamais répéter la tragédie de la guerre », ajoutant « je vais humblement considérer le passé et respecter sans faillir cette promesse ».

Le passé militariste nippon

Plus tôt dans la journée, M. Abe avait fait déposer une offrande tamagushi (propre au culte shintoïste) au controversé sanctuaire Yasukuni, où sont honorés 2,4 millions de morts à la guerre et quatorze dirigeants nippons reconnus coupables de crimes de guerre, et qui est considéré comme un symbole du militarisme japonais.

M. Abe s’y était rendu en 2013, suscitant alors le mécontentement, entre autres, de la Chine. Depuis, il éviterait de le faire pour ne pas affecter les liens diplomatiques de l’archipel avec ses voisins. Le parlementaire du Parti libéral démocrate (PLD, au pouvoir), Masahiko Shibayama, a amené l’offrande au nom du premier ministre qui lui aurait dit : « Priez sincèrement pour les âmes de nos ancêtres. Je suis désolé de ne pas pouvoir leur rendre hommage moi-même. »

Cette divergence entre l’empereur et le premier ministre interroge sur le positionnement du futur souverain, Naruhito. Passionné et diplômé d’histoire, l’actuel prince héritier porterait un regard similaire à celui de son père sur le passé militariste nippon. En 2015, il avait appelé à « considérer le passé avec humilité ». Soulignant qu’il n’avait lui-même « pas connu la guerre », il avait insisté pour que « les générations qui ont vécu les conflits » transmettent « correctement à celles qui ne les ont pas connus, les expériences et l’histoire tragiques du Japon ».