Devant un bureau de change, à Téhéran, le 7 août. / Ebrahim Noroozi / AP

Farid Fozi n’aura finalement travaillé que dix-huit mois dans son pays d’origine. Lorsque son employeur Peugeot lui propose, en mars 2017, de quitter la France pour aller œuvrer en tant que technicien dans un atelier de Téhéran, il pensait en acceptant qu’il partirait pour quelques années. C’était sans compter l’annonce du rétablissement des sanctions américaines début mai.

Pour cet homme de 34 ans, qui a étudié à Metz avant d’être embauché dans une filiale du constructeur automobile du groupe PSA, le retour en France est rude. « Tant mes collègues que moi, nous sommes dégoûtés de devoir quitter l’Iran. On avait le sentiment que ça allait être dur, mais qu’on pourrait continuer. Le projet était justifié et rentable », regrette Farid Fozi.

La première vague de sanctions est officiellement entrée en vigueur le 7 août, trois mois après le retrait unilatéral des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien signé le 14 juillet 2015. Elle comprend de nouveaux blocages sur les transactions financières et sur les importations de matières premières. Les secteurs de l’automobile et de l’aviation commerciale sont également visés. Si le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Union européenne, la Chine et la Russie sont toujours dans l’accord, les entreprises non américaines qui ont des liens avec les Etats-Unis préfèrent mettre fin à leurs activités en Iran, de peur d’être sanctionnées par Washington.

Pour les Iraniens de France, l’enthousiasme suscité par l’accord de 2015 s’est évanoui. Leila Saber, avocate franco-iranienne, accompagne des entreprises françaises désireuses de s’installer sur le marché iranien. Depuis l’annonce des sanctions, en mai, ce travail relève de la gageure. « Il est vraiment regrettable de constater que la plupart des projets ont été annulés depuis le mois de mai. Même les entreprises qui n’ont aucun lien avec les Etats-Unis ont du mal à envisager de rester en Iran, à cause du blocage bancaire », déplore-t-elle.

« Les Iraniens sont solidaires »

Mais les sanctions bancaires n’affectent pas seulement les entreprises. Les particuliers sont aussi touchés. « Avant, pour envoyer de l’argent à sa famille, on pouvait passer par des systèmes de virements bancaires, à présent c’est impossible », explique Sina Fakour, 31 ans, qui poursuit son parcours académique aux Beaux-arts de Lyon.

Il faut donc user de méthodes informelles. La diaspora a recours à des transferts de la main à la main pour envoyer de l’argent au pays, et ce, en devant parfois se fier à des inconnus. « On se rencontre sur Facebook, on discute. Puis, si la confiance s’installe, on laisse une enveloppe avec de l’argent à la personne qui va faire le voyage vers l’Iran. Une fois arrivée, elle s’arrangera pour aller remettre votre pli à son destinataire », explique Kamran, 36 ans, qui ne souhaite pas que son nom de famille apparaisse. « Les Iraniens sont solidaires », conclut-il sur une note positive.

Ce système de transfert ne fonctionne pas seulement pour les devises. Les Iraniens de France l’utilisent également pour faire parvenir des biens devenus très onéreux en Iran du fait des sanctions : les articles de maroquinerie, les parfums… mais aussi certains médicaments devenus introuvables ou inabordables. Et cette hausse des prix ne semble pas près de s’arrêter. Le rial, la monnaie nationale, est en chute libre. Elle a perdu la moitié de sa valeur depuis une réforme monétaire mise en place en avril, qui liait davantage le rial au dollar en instaurant un taux de change fixe. Cette mesure, instaurée justement pour enrayer une crise programmée, n’a fait que précipiter sa chute.

Lorsque Sina Fakour retourne en Iran, l’impact psychologique et moral des sanctions lui pèse également. « Je me sens privilégié maintenant, quand je vois tout ce que je peux acheter dans mon pays avec euros. Depuis trois mois et l’annonce des sanctions, c’est vraiment dur pour eux », confie l’étudiant.

« Avant, même s’il y avait déjà des sanctions, c’était beaucoup de paroles et de menaces. Une sorte de guerre froide. Aujourd’hui, c’est encore plus concret pour les gens ordinaires », confirme Farah, 37 ans, franco-iranienne du 15e arrondissement de Paris. En France, depuis douze ans, elle estime que le plus dur est encore à venir : « Les Iraniens redoutent les prochaines sanctions qui vont porter un coup encore plus dur à l’économie du pays. » La deuxième salve des mesures américaines prévue pour le 5 novembre affectera notamment les secteurs pétroliers et gaziers, vitaux pour l’économie iranienne.