Les familles d’au moins 17 des 38 personnes ayant péri dans la catastrophe survenue mardi ne participeront pas aux funérailles solennelles prévues samedi. / Antonio Calanni / AP

L’Italie commençait vendredi 17 août à enterrer, en pleine polémique, les dizaines de personnes tuées dans l’effondrement du pont autoroutier à Gênes, pendant que les sauveteurs continuaient inlassablement à chercher les disparus sous les décombres.

Des funérailles solennelles sont prévues pour samedi 18 août en fin de matinée dans un hall du centre d’exposition de cette ville du nord, avec une messe célébrée par l’archevêque de Milan en présence de toutes les plus hautes autorités de l’Etat, dont le président Sergio Mattarella. Le dernier bilan, revu à la baisse, faisait état de 38 morts et de 15 blessés.

« C’est l’Etat qui a provoqué cela »

Cette cérémonie officielle s’annonce toutefois potentiellement embarrassante pour les institutions italiennes : selon un comptage, noms à l’appui, du journal La Stampa, les familles d’au moins 17 des 38 personnes ayant péri dans la catastrophe survenue mardi préfèrent s’abstenir.

« C’est l’Etat qui a provoqué cela, [que les dirigeants] ne se montrent pas : le défilé des politiques a été honteux », a réagi dans les colonnes de ce quotidien Nunzia, la mère d’un des quatre jeunes de Torre del Greco morts sur la route de leurs vacances et enterrés vendredi après-midi dans leur ville, une commune de Naples (sud).

« Mon fils ne deviendra pas un numéro dans le catalogue des morts provoquées par les manquements italiens, s’est pour sa part insurgé sur les réseaux sociaux Roberto, le père d’un autre des garçons. Nous ne voulons pas une farce de funérailles, mais une cérémonie à la maison, dans notre église de Torre del Greco. »

Des funérailles se sont aussi déroulées dans plusieurs autres villes italiennes, par exemple dans une église de Pise où deux jeunes fiancés qui ont perdu la vie dans le drame, une infirmière et un anesthésiste, voulaient se marier l’an prochain, ont rapporté les médias italiens.

Dans une chapelle ardente à Gênes, les familles veillaient les morts, hagardes devant 15 cercueils alignés et recouverts de fleurs, dont celui, de couleur blanche, d’un enfant, a constaté un photographe de l’AFP. Des proches y posaient de petits mots écrits à la main, tout en l’embrassant. Trois autres cercueils devaient être portés dans l’immense salle dans la soirée.

Recherches toujours en cours

Les secouristes cherchent encore cinq disparus, a annoncé vendredi la protection civile italienne. Dix blessés se trouvaient vendredi encore à l’hôpital, dont six jugés dans un état grave, a fait savoir la préfecture.

« Les recherches se poursuivent avec la démolition et l’évacuation des gros blocs du viaduc qui s’est écroulé pour retrouver les disparus », ont précisé les pompiers. « Il y a quelqu’un ? Il y a quelqu’un ? », pouvait-on entendre crier un pompier, une angoisse dans la voix, dans une cavité creusée au milieu d’un amas de pierres, de béton et de ferraille, sur une vidéo.

Le gouvernement renvoie la faute sur le gestionnaire

La féroce controverse entre le gouvernement italien et la société autoroutière gestionnaire de l’ouvrage, Autostrade per l’Italia, occupe tout le terrain médiatique. Le gouvernement a rapidement annoncé son intention de révoquer la concession de cette entreprise sur le tronçon d’autoroute où s’est produite la tragédie.

« Nous faisons tout notre possible pour qu’Autostrade ouvre son portefeuille pour aider les proches des victimes, les personnes concernées, les sans-abri et la ville », a lancé vendredi le vice-premier ministre, Matteo Salvini, ministre de l’intérieur et chef de la Ligue (extrême droite). « On ne peut pas mourir en payant le péage en Italie », avait assené la veille l’autre vice-premier ministre, Luigi Di Maio, ministre du développement économique et chef de file du Mouvement 5 étoiles (M5S, populiste).

Une étude, révélée vendredi 17 août par les quotidiens italiens La Stampa et La Repubblica, semble appuyer les accusations du gouvernement italien. Cette étude, effectuée en novembre 2017 par des experts de l’Ecole polytechnique de Milan à la demande d’Autostrade per l’Italia, a mis au jour des problèmes de stabilité de l’ouvrage, a confirmé Stefano Della Torre, le directeur du département universitaire qui a réalisé cet audit. « L’étude a mis en lumière une anomalie et a recommandé des investigations plus poussées en la matière », a-t-il dit à Reuters.

Une reconstruction du pont possible « dans les cinq mois »

Aucune réaction n’a pu être obtenue sur cette question dans l’immédiat auprès du groupe Atlantia, la maison mère d’Autostrade per l’Italia, concessionnaire de l’ouvrage. Cette dernière a assuré que ses contrôles de sécurité étaient sérieux. La holding de Benetton, Edizione, qui contrôle à 30 % le groupe Atlantia, a affirmé qu’elle ferait tout pour mettre au jour les responsabilités dans ce drame.

Atlantia a toutefois déclaré qu’une reconstruction du pont pourrait « être achevée dans les cinq mois », une fois que le site sera redevenu accessible, après la fin des recherches et des relevés d’enquête. Le groupe a aussi critiqué une annonce gouvernementale faite « en l’absence de toute certitude sur les causes effectives » du drame et prévenu que la révocation coûterait cher en indemnités à l’Etat. Des milliards d’euros, selon des médias italiens.

Echanges polémiques avec l’UE

Autre cible du gouvernement italien : l’Union européenne et sa politique d’austérité, accusée par le nouveau gouvernement populiste italien d’empêcher les investissements. La Commission européenne a réagi en disant avoir encouragé l’Italie à investir dans ses infrastructures et en rappelant que les Etats membres étaient « libres de fixer » leurs priorités.

Alors que le championnat de football doit reprendre ce week-end, les matchs prévus pour dimanche de la Sampdoria et du Genoa, les deux équipes de Gênes, ont été reportés à une date ultérieure. Pour les autres rencontres, les joueurs observeront une minute de silence et porteront un brassard noir.

Viaduc à Gênes : les secours fouillent les décombres
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