Le président mozambicain, Filipe Nyusi, à Berlin, en avril 2016. / Hannibal Hanschke / REUTERS

Mille cinq cents euros pour une autorisation de reportage, jusqu’à 7 300 euros pour une accréditation annuelle de correspondant étranger, 450 euros pour un journaliste mozambicain qui collabore avec des médias internationaux… Le Mozambique est sur le point de s’octroyer un nouveau record d’Afrique, celui des taxes frappant les médias et les journalistes au portefeuille.

Décidées en catimini, fin juillet, par un décret gouvernemental, celles-ci entrent en vigueur à partir du mercredi 22 août, à quelques semaines d’élections locales cruciales où le parti au pouvoir, le Front de libération du Mozambique (Frelimo), se présente en mauvaise posture. Les médias locaux ne sont pas en reste, puisque les coûts des licences d’enregistrement et de diffusion ont tous été relevés. Et de nouvelles taxes pour les encarts publicitaires ont été introduites.

« Tout ça nous met dans une énorme précarité financière », s’inquiète Fernando Lima, directeur d’un groupe de médias indépendant qui édite l’hebdomadaire Savana, le quotidien Mediafax et émet la radio Savana FM. Jusque-là, le prix des licences était « symbolique », rappelle-t-il. « Or la crise économique a déjà fait baisser nos ventes. » Et la dévaluation de la monnaie, qui a pour effet de renchérir le prix des importations, a grévé lourdement les coûts d’impression.

Kidnappé en plein jour

Le gouvernement défend la nécessité de réguler le marché des médias et d’instaurer de la discipline dans le secteur. « Il semblerait plutôt qu’il veuille drastiquement réduire le nombre de publications et mieux contrôler les médias qui se montrent trop critiques avec lui », estime Fernando Lima.

Alors que les médias publics ont déjà été mis en coupe réglée par le Frelimo, l’ancien parti unique au pouvoir depuis l’indépendance en 1975, les publications privées jouissaient jusqu’à présent d’une relative liberté de ton. « Ils ont tenté d’en traîner certains au tribunal pour diffamation. Sans succès. Maintenant, ils tentent de nous asphyxier financièrement », accuse le journaliste.

Ces dernières années, plusieurs journalistes ont fait l’objet de menaces et d’agressions physiques. La dernière en date remonte à mars, quand Ericino de Salema a été kidnappé devant le syndicat des journalistes, en plein jour et en plein centre de Maputo, puis passé à tabac. La veille, il avait critiqué le train de vie du fils du président, Filipe Nyusi, sur la chaîne de télévision privée STV.

Risque de fraudes

Avec les nouvelles taxes, les organisations de défense des droits humains s’alarment d’une nouvelle dérive du régime. Amnesty International y voit une « tentative flagrante de répression des journalistes » et Human Rights Watch une « offensive contre la liberté de la presse ». « Si ce décret est appliqué tel qu’il a été adopté, de nombreuses radios et télévisions indépendantes ne pourront survivre et le pays risque d’être déserté par les journalistes étrangers », s’inquiète Arnaud Froger, de Reporters sans frontières.

Il n’y a guère plus qu’une douzaine de correspondants étrangers au Mozambique, pour la plupart installés dans la capitale. Les journalistes mozambicains qui collaborent avec des médias internationaux sont les plus exposés et risquent de devoir abandonner la profession. Leurs frais d’accréditation représentent plus de sept fois le salaire minimum au Mozambique.

« Ces frais pourraient bien tuer Zitamar News », se lamente Tom Bowker, un journaliste britannique basé à Maputo qui, en 2015, a monté cette publication anglophone en ligne. Il s’interroge sur le timing de la décision : « Les élections arrivent et le Frelimo est en difficulté face à l’opposition. Il a moins d’argent pour faire campagne et pour acheter des voix. On peut s’attendre à plus de fraudes que lors des élections précédentes. Pour le parti au pouvoir, moins il y a de journalistes pour regarder, mieux c’est. »