Les applications VKontakte, Mail.ru et Yandex. / Gleb Garanich / REUTERS

La surveillance du Web se durcit en Russie. Deux adolescentes arrêtées en mars pour des discussions politiques sur la messagerie Telegram sont assignées à résidence dans l’attente de leur procès, après être sorties de détention provisoire, le 16 août. Dix jours plus tôt, le procès de Maria Motuznaya, 23 ans, débutait dans la ville sibérienne de Barnaoul pour des publications sur le réseau social Vkontakte, équivalent de Facebook en Russie et dans les pays de l’ex-bloc de l’Est. Des montages relayés par la jeune femme tournaient en dérision des prêtres orthodoxes et le Christ, et portaient un message jugé raciste. Elle encourt jusqu’à six ans de prison.

Ces cas ne sont que des exemples parmi d’autres : le nombre de condamnations d’internautes russes en vertu de la loi « sur le combat de l’activité extrémiste » est en constante augmentation ces dernières années. Dans un rapport, l’ONG russe de défense des droits de l’homme Agora a recensé 411 poursuites judiciaires contre des internautes en 2017, avec 43 peines de prison prononcées. C’est environ un tiers de plus que l’année précédente (298 poursuites et 32 peines de prison). Et 90 % des condamnations pour propos radicaux sanctionnent des déclarations faites en ligne, selon Maria Kravchenko, chercheuse au Centre SOVA pour l’information et l’analyse, une ONG russe.

« Sous le gouvernement Poutine, le dialogue public et indépendant s’est déplacé de la télévision et la presse écrite vers le Web, rappelle Mme Kravchenko. La législation anti-extrémiste, avec ses formulations très larges et vagues, est alors devenue un outil efficace pour censurer les contenus en ligne et faire pression sur les activistes de l’opposition qui utilisent le Web pour propager leurs idées. » Des critiques du gouvernement, de l’annexion de la Crimée ou de l’intervention de Moscou en Syrie sont ainsi aujourd’hui passibles de poursuites pour leur caractère « anti-russe ».

Collaborations avec le FSB

Les peines vont de la simple amende à la prison ferme. Certains des condamnés sont des militants d’extrême droite ou des islamistes, mais on compte aussi de plus en plus de simples internautes. « Il y a cinq ans, il fallait un profil militant ou criminel pour être emprisonné pour ses activités en ligne, explique Damir Gainutdinov, un avocat d’Agora International. Aujourd’hui, un utilisateur lambda qui “aime” ou relaie un contenu peut être condamné à cinq ou six ans de prison. »

La « loi des blogueurs », adoptée en 2014 dans le cadre d’un renforcement des lois anti-extrémisme russes, stipule que les réseaux sociaux doivent stocker les données personnelles de leurs utilisateurs pendant au moins six mois, et les transmettre aux autorités si elles le demandent. Les entreprises sont tenues de garder secrets les détails de leur collaboration avec le FSB, le service de sécurité russe. Les autorités ont également bloqué des centaines de milliers de sites Internet depuis les manifestations anti-Poutine de l’hiver 2011-2012. En 2017, 88 000 sites ont ainsi été bloqués par Roskomnadzor, l’agence fédérale de surveillance des télécommunications.

« Les autorités comprennent qu’elles ne peuvent pas bloquer efficacement les informations sensibles parce que les internautes contournent les contrôles à l’aide de proxys [serveurs grâce auxquels on peut anonymiser une connexion à Internet], explique Damir Gainutdinov. Elles essaient donc d’intimider [avec des condamnations] ceux qui partagent ces informations en ligne. »

En réponse à la récente série d’arrestations et à l’indignation qu’elle a suscitée, Vkontakte a confié à la BBC, mardi 14 août, vouloir révéler ses statistiques sur les demandes gouvernementales d’accès aux informations personnelles de ses utilisateurs. Le PDG du réseau social, Andreï Rogozov, s’était déjà engagé, la veille, à rendre privés les profils de ses utilisateurs ainsi que la liste des personnes relayant une publication, des données jusqu’alors visibles par tous.

On peut cependant douter de la volonté de Vkontakte de tenir tête au gouvernement. Le réseau dépend en effet du groupe Mail.ru, lui-même propriété de l’oligarque Alicher Ousmanov, un proche du Kremlin. « Je pense que ses bonnes relations avec le gouvernement priment sur la santé de l’entreprise, avance Damir Gainutdinov. Les récentes déclarations ne sont à mon avis que de la communication, une tentative de limiter les dommages pour la réputation de Vkontakte. »

Clés de chiffrement

Ces mesures nuisent en effet à l’activité économique dans le numérique. « Il y a en Russie des acteurs très performants qui pâtissent des nouvelles lois, observe Julien Nocetti, spécialiste de l’Internet russe à l’Institut français des relations internationales (IFRI). L’obligation d’héberger les données des Russes sur le sol russe a par exemple un coût colossal. Il y a quelques années encore, l’industrie numérique était assez florissante, mais aujourd’hui tout un vivier de jeunes programmeurs part à l’étranger, en Europe, en Israël ou aux Etats-Unis. »

En avril, les autorités russes s’en sont aussi prises à la messagerie Telegram. L’entreprise ayant refusé de fournir ses clés de chiffrement au FSB, plusieurs millions d’adresses IP ont été bloquées en Russie pour empêcher le fonctionnement de l’application cryptée. Telegram avait cependant prévu un mécanisme de rotation des adresses IP qui lui a permis de continuer à fonctionner, tandis que les blocages indiscriminés de Roskomnadzor privaient temporairement de connexion des dizaines d’entreprises et de banques russes.