L’avis du « Monde » – à voir

Résonnant fortement avec le propos de BlacKkKlansman, de Spike Lee, la sortie de King : de Montgomery à Memphis lui offre une sorte de pendant documentaire. Réalisé en 1970, deux ans après l’assassinat de Martin Luther King, distribué à l’époque dans 500 salles de cinéma aux Etats-Unis, ce film est un long montage d’archives (trois heures) consacré à cette immense figure américaine, produit et supervisé par Ely Landau, producteur à la ­télévision et au cinéma.

Quoique réalisé avec le soutien et la participation de très grands noms du cinéma et plus lar­gement de la scène américains (Sidney Lumet, Joseph Mankiewicz, Harry Belafonte, Paul Newman, Burt Lancaster, Marlon Brando…), King demeure essentiellement une reconstitution du parcours de Martin Luther King entre 1955 et 1968. Dépourvu de commentaire comme de tout élément de contextualisation en raison de sa proximité avec le sujet, entrecoupé de brèves vignettes où des acteurs célèbres récitent de courts textes poétiques ou ­romanesques, ce documentaire d’époque se révèle aujourd’hui d’un abord escarpé.

Une vision au ras du bitume, terrifiante, d’une Amérique engluée dans le racisme et la ségrégation

Mais ce que l’on perd d’un côté, on le gagne de l’autre. La pure ­valeur de témoignage de ces images fait ici son office et offre une vision au ras du bitume, passablement terrifiante, d’une Amérique engluée dans le racisme et la ségrégation. L’itinéraire du pasteur baptiste Martin Luther King – une des principales figures de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, prônant dans la lignée de Thoreau et de Gandhi la déso­béissance civile et la non-violence – y est à tous égards édifiant. De la campagne des bus à Montgomery (Alabama) en 1955 au soutien à la grève ouvrière de Memphis (Tennessee) en 1968, en passant par Birmingham (1963), Selma (1965) ou Chicago (1966), partout le même tableau. D’immenses marches pacifiques chargées par la police, des foules blanches haineuses, des injures et des coups indéfiniment portés, parfois à mort, contre des hommes et des femmes luttant dans la plus grande dignité pour la reconnaissance de leurs droits.

Un charmeur de foule

Tableau impitoyable de la violence atavique et de l’obscénité de ce grand pays qui met à mort ses plus beaux enfants, pourtant éclairé par la personnalité rayonnante de King, sa tenue, son visage, ses idées, ses discours. Ce héros des temps modernes, tenant d’un pacifisme et d’un humanisme sans concession, appelant à la fraternité entre tous les hommes, stoïque sous les coups, les humiliations et les perfidies, rassemble autour de lui des cen­taines de milliers de fidèles par l’intelligence de sa stratégie politique et par l’aura qui est la sienne.

Aussi bien le film nous aide-t-il à comprendre l’amour et le respect qui l’entouraient. King est un charmeur de foule, un rhétoriqueur brillant, qui sait parler à la tête et au cœur d’un auditoire nourri par la ferveur des prêches et des chants bibliques, soutenu par sa chère amie Mahalia Jackson, l’impératrice du gospel. Il y a, en un mot, un groove du Doc King, obtenu par la scansion de son phrasé, le balancement de ses périodes, la sérénité lumineuse et déterminée de son expression. Ses figures de style de prédilection sont – pardon pour les gros mots – l’anaphore, l’expolition, la concaténation.

L’intérêt du film est de faire sentir la lassitude et l’angoisse qui étreignent King face à la violence que son ­action suscite

D’où la réputation, justifiée, de sa harangue du 28 août 1963, tenue devant le Lincoln Memorial de Washington, ici dégonflée comme un vieux pneu en l’absence de son locuteur : « Quand bien même nous devons affronter les difficultés d’aujourd’hui et de demain, je fais un rêve. C’est un rêve profondément enraciné dans le rêve américain. Je fais ce rêve qu’un jour cette nation se lèvera et vivra le véritable sens de son credo, tenant cette vérité comme évidente que tous les hommes ont été créés égaux. Je fais ce rêve qu’un jour, sur les collines rousses de Géorgie, les fils des anciens esclaves et ceux des anciens propriétaires d’esclaves pourront s’asseoir ensemble à la table de la fraternité. » Et la suite n’est pas moins inspirée, qui lui vaudra, avec l’action qu’elle accompagne, le prix Nobel de la paix en 1964.

Cet homme qui en appelle à la justice et qui pourrait soulever la Terre à la seule force de ses mots se met évidemment en danger. L’intérêt du film est aussi de faire sentir, à mesure que le temps passe et que les menaces et les agressions à son encontre se multiplient, la lassitude et l’angoisse qui étreignent King face à la violence que son action suscite. Cet homme de conviction et de combat, qui a radicalisé son engagement politique sur la fin de sa vie, pressent ainsi, et la formule, l’hypothèse de sa mort brutale. Lorsqu’elle advient, le film touche à sa plus poignante beauté, dans l’étreinte silencieuse des funérailles publiques de King bercée en off par la voix sublime de Nina Simone psalmodiant Why ?, complainte écrite en quelques heures après la mort du prophète assassiné.

KING: DE MONTGOMERY À MEMPHIS en salles le 22 août
Durée : 01:31

Documentaire conçu et produit par Ely Landau, avec la participation de Sidney Lumet et Joseph L. Mankiewicz (3 h 02). Sur le Web : www.splendor-films.com/items/item/557