L’avis du « Monde » – à voir

L’animation japonaise a ceci de particulier que, brassant un large public, elle est capable d’aborder toutes sortes de sujets, des plus farfelus jusqu’aux plus sensibles. Silent Voice, adapté du manga éponyme de Yoshitoki Oima, qui conjugue les questions du handicap et du harcèlement scolaire, est le troisième long-métrage de Naoko Yamada, jeune animatrice née en 1984 et faisant figure de pionnière dans une industrie encore très largement masculine. Armé de thématiques aussi intimidantes, le projet semblait cerné par les écueils du film à thèse ou de l’édification morale. Or, Naoko Yamada livre ici une œuvre d’une finesse et d’une sensibilité insoupçonnées, sachant donner une forme en propre, toujours surprenante, à un sujet qui semblait pourtant saturé de discours tout faits.

Le film brille d’abord par sa précision psychologique, prenant ses aises sur plus de deux heures pour mieux décortiquer l’intériorité heurtée de ses personnages. Divisé en deux temps, le récit tourne autour d’un collégien turbulent et farceur nommé Ichida. Celui-ci voit un beau jour débarquer dans sa classe Nishimiya, une nouvelle élève atteinte de surdité. Ichida ne tarde pas à se moquer d’elle, à la taquiner, d’abord bénignement, puis avec de plus en plus de privautés, jusqu’à arracher et briser ses appareils auditifs. C’est bientôt toute la classe qui suit son mauvais exemple et dénigre la nouvelle recrue. Mais le film ne s’arrête pas là et retrouve les mêmes personnages cinq ans plus tard, pour suivre les répercussions de cette violence dans la vie de chacun. Notamment celle d’Ichida, dont la réputation déplorable a fait de lui un paria, à tel point qu’il commettra une tentative de suicide. Ses retrouvailles inattendues avec Nishimiya lui permettront peut-être de corriger le tir.

Mélodrame collectif

L’intelligence du film consiste, par la suite, à déjouer tout manichéisme, en considérant la violence comme une malédiction commune entre le jeune despote et sa victime, ayant des conséquences déplorables autant sur l’un que sur l’autre, ainsi que sur leurs proches, par capillarité. Malédiction qui donne au film la forme d’un émouvant mélodrame collectif, où le malheur se répand comme une onde de choc, sans pour autant que l’on se recroqueville sur lui – l’humour occupe une place importante. Grâce à un montage savamment éparpillé, progressant par élans prospectifs, Naoko Yamada joue avec le temps, ouvre autant de perspectives et d’échappatoires, pour ne jamais verrouiller les situations et montrer que les logiques perverses peuvent toujours être endiguées.

La beauté de l’ensemble est aussi due à ses partis pris plastiques. A commencer par le dessin minutieux des décors, le rendu travaillé des luminosités ou encore la gestuelle des personnages, parfois bouleversante de précision – notamment dans une scène prenante où Ichida et Nishimiya en viennent aux mains, dans une salle de classe vide. Le plus étonnant reste la façon dont le film explore, jusque dans les moindres détails, la subjectivité de ses protagonistes : les décadrages morcelant leurs points de vue, les ralentis qui figent le temps, les effets de flou qui créent des bulles d’intimité, ou encore, par exemple, cette idée graphique de figurer l’isolement d’Ichida parmi les autres élèves du lycée en barrant tous leurs visages d’une croix bleue.

Le film dépasse son propre sujet pour dresser, plus largement, le portrait d’une jeune génération de Japonais

Silent Voice vaut enfin pour sa capacité à dépasser son propre sujet pour dresser, plus largement, le portrait d’une jeune génération de Japonais (le film s’ouvre sur My Generation, des Who) ayant en partage une certaine violence larvée, car minée par un profond mal-être l’empêchant de communiquer ses émotions. Ainsi Silent Voice oppose-t-il à sa pente mélodramatique et morbide la perspective d’une amitié qui reste toujours à construire, comme le gage d’une coexistence difficile, mais possible. Riche de nombreux personnages secondaires, le film représente une jeunesse composite, hésitante et incertaine, dont le défi majeur est d’accepter sa propre diversité, contre les réflexes grégaires et le conformisme qui la menacent. Ce faisant, Silent Voice diffuse un vent de renouveau dans l’animation japonaise qui engage à suivre sa réalisatrice de très près.

Silent Voice Bande-annonce VF
Durée : 01:52

Film d’animation japonais de Naoko Yamada (2 h 05). Sur le Web : www.club-vo.fr/films/silent-voice