Un soldat mozambicain à Naunde, un village attaqué par des insurgés islamistes, dans le nord du Mozambique, le 13 juin 2018. / JOAQUIM NHAMIRRE / AFP

L’irruption, en octobre 2017, d’un groupe islamiste dans le nord du Mozambique a pris tout le monde par surprise, à commencer par la police locale. Cible des premières attaques, elle a mis deux jours à déloger les assaillants d’une petite ville côtière. Après une accalmie en début d’année, des raids d’une violence inédite ont repris fin mai, avec des dizaines de villageois décapités à la machette. D’un épiphénomène circonscrit à quelques villages, c’est toute une région, cruciale à l’économie mozambicaine car riche en gaz, qui a sombré dans l’insécurité.

Ces dernières semaines, les forces de sécurité mozambicaines sont à la manœuvre pour tenter de mettre fin à l’insurrection. « Nos forces sur le terrain sont en train d’intensifier les opérations. Tous les jours il y a des actions, des captures, des résultats. Ces malfaiteurs sont toujours plus encerclés », expliquait, mercredi 22 août, le porte-parole de la police, Claudio Langa, depuis la capitale, Maputo.

Machettes et kalachnikovs

Dans l’extrême-nord du pays, sise au sud du fleuve Ruvuma qui marque la frontière avec la Tanzanie, la province de Cabo Delgado compte 2,3 millions de personnes pour une superficie équivalente à celle de l’Autriche. Autour de Mocimboa da Praia et de Palma, les deux principaux bourgs autour desquels les attaques se concentrent, la population est éparpillée au milieu d’une épaisse forêt incontrôlable. Les insurgés y sont retranchés et mènent des raids principalement pour se ravitailler, kidnapper des femmes et tuer ceux qu’ils suspectent d’aider l’armée. Ils ciblent particulièrement les chrétiens dans cette région à 52 % musulmane, et sont armés de façon rudimentaire : quelques kalachnikovs et surtout des machettes.

Début août, lors d’une visite sur place, le commandant des forces armées, Bernardino Rafael, a révélé les noms de six leaders présumés, pour un groupe dont les spécialistes savent très peu de choses. A commencer par son nom. Les locaux appellent les insurgés « Al-Chabab », ce qui signifie « les jeunes » en arabe, sans lien direct avec le mouvement djihadiste somalien des Chabab. Plusieurs chercheurs affirment qu’ils sont issus d’une scission du clergé local, un groupe dénommé Ahlu Sunna Wa-Jamâ (« les gens de la tradition du prophète »), qui rassemble des jeunes, pour certains formés dans des mosquées wahhabites d’Arabie saoudite et du Soudan. À leur retour au Mozambique, frustrés par le manque de perspectives, ils se sont radicalisés et veulent depuis imposer la charia, la loi islamique.

La police refuse de donner des détails sur les opérations en cours. Mais d’après les réseaux sociaux et certains médias locaux, les insurgés auraient subi deux revers majeurs à Pundahar, les 6 et 16 août, lors d’offensives soutenues par des bombardements par hélicoptère. « L’armée a positionné des troupes d’élite et déplacé son quartier général opérationnel au Cabo Delgado. Le gouvernement a également consulté des pays comme l’Ouganda, la République démocratique du Congo et la Tanzanie sur les insurrections d’ordre religieux, explique Alex Vines, du centre de recherche britannique Chatham House. Tout cela leur permet de monter des opérations avec un meilleur renseignement qui fait la différence. »

Immenses réserves de gaz

Pour le gouvernement de Maputo, il y a urgence. Cette région très pauvre était promise jusque-là à un avenir radieux dans les hydrocarbures, avec la découverte au large des côtes des plus grandes réserves de gaz d’Afrique subsaharienne. Le village de Palma est le lieu choisi par les multinationales Anadarko, Exxon et Eni pour accueillir les futures installations. Mais fin juin, une attaque à Maganja, distant de 5 km seulement, a fait cinq morts. Si pour l’instant les entreprises n’ont pas suspendu leur activité, les nouvelles conditions de sécurité pourraient retarder le lancement de mégaprojets chiffrés en dizaines de milliards de dollars.

La nouvelle offensive a néanmoins peu de chances de résoudre la question islamiste pour de bon. D’après les études, le groupe est éclaté en plusieurs cellules qui fonctionnent de manière indépendante. « Ma crainte, c’est qu’ils réapparaissent après plusieurs mois de silence », explique le chercheur Eric Morier-Genoud. Ce dernier estime que l’armée a un problème plus général pour gagner le soutien de la population : « Les soldats sont mal entraînés, ils boivent énormément, dans un milieu musulman très pieu, et violent les femmes. » Un comportement qui attise les divisions religieuses et se juxtapose à d’autres fractures d’ordres socio-économique et ethnique. Or la logique de guerre renforce ces divisions, des plaies plus profondes qui mettront du temps à cicatriser.