Editorial du « Monde ». L’heure de vérité approche pour l’insolite coalition qui essaie de gouverner l’Italie depuis trois mois. Dans les dossiers brûlants qui se disputent le haut de la pile sur le bureau du président du conseil, Giuseppe Conte, force est de constater que l’épreuve se présente assez mal. Incohérences et contradictions se multiplient à Rome de façon inquiétante.

Inévitablement, la préparation du budget annoncé comme révolutionnaire révèle les plus grosses tensions. La coalition entre le Mouvement 5 étoiles (M5S, antisystème) et la Ligue, le parti d’extrême droite de Matteo Salvini, ne peut masquer l’évidence : la plupart des promesses de campagne sont impossibles à financer, sauf à faire exploser des comptes publics déjà très mal en point. L’affrontement avec Bruxelles, où la Commission doit examiner en octobre le budget italien pour approbation, paraît inévitable. Les responsables de la Ligue au gouvernement ne font aucun mystère de leur peu d’égards pour la règle qui veut que le déficit public ne dépasse pas 3 % du PIB des Etats membres.

M. Salvini, vice-président du conseil et ministre de l’intérieur, a même utilisé la tragédie du pont de Gênes pour accuser ces contraintes budgétaires européennes d’avoir empêché l’Italie d’investir dans la sécurité de ses infrastructures. Il prône, lui, un programme de grands travaux « comme celui du président Trump » – un sujet de discorde avec ses partenaires du M5S, hostiles à plusieurs de ces chantiers. On voit mal comment les experts de la Commission pourraient valider un budget qui tenterait de concilier ces grands travaux, la création d’un revenu citoyen, la mise à plat des retraites et l’introduction d’un impôt sur le revenu à taux unique. Le tout avec une dette publique qui atteint déjà 130,7 % du PIB.

Menace mise à exécution

Un autre dossier sur lequel butent les partenaires européens de l’Italie est celui des migrants. Matteo Salvini a mis sa menace à exécution : les ports italiens sont désormais fermés aux navires transportant des réfugiés. Cela lui a permis d’arracher à l’Europe une victoire symbolique, celle que réclamait désespérément l’Italie depuis le début de la crise migratoire. Sous la pression de l’urgence, une poignée de pays, dont la France, se sont enfin résolus à se répartir quelques centaines de ces migrants recueillis en Méditerranée. Ce n’est cependant qu’un pis-aller artisanal et, même si M. Salvini n’en est pas à une contradiction près, laissant soudain accoster un bateau ou acceptant de prendre vingt passagers, le bras de fer continue.

La réalité politique qui émerge de plus en plus clairement sur fond d’incohérences est celle du poids croissant pris par M. Salvini et son parti, la Ligue, par rapport à ses « alliés » du M5S, dont le programme est le plus difficilement réalisable. Dans cette alliance de la carpe et du lapin, le M5S est handicapé par la faiblesse de son personnel politique, alors que la Ligue bénéficie de troupes expérimentées, qui ont fait leurs preuves au niveau local dans les municipalités du Nord. Au sommet, le chef de file des 5 étoiles, Luigi Di Maio, ministre du développement économique, est inaudible face à un Matteo Salvini omniprésent.

Pour l’Europe, cela ressemble à une catastrophe annoncée. Un signe ne trompe pas : depuis deux mois, l’exode des investisseurs étrangers du marché des obligations d’Etat italiennes s’accélère. Ce mouvement, qui coïncide avec la formation du gouvernement de coalition à Rome, devrait à lui seul inquiéter toutes les capitales européennes.