A bord de l’« Aquarius », le 15 août 2018 à La Vallette. / GUGLIELMO MANGIAPANE / REUTERS

C’est une grande première qui vient de se produire au large du littoral tunisien. Le navire humanitaire Aquarius s’est trouvé bloqué sept jours durant à 45 miles nautiques au nord-est de Bizerte, cité portuaire de la côte septentrionale de la Tunisie, après avoir récupéré à son bord cinq migrants tunisiens qui prétendaient fuir leur pays pour des raisons politiques. L’impasse a, finalement, été surmontée, samedi 25 août, avec la restitution des cinq Tunisiens aux autorités de leur pays.

L’Aquarius, navire affrété par SOS Méditerranée en partenariat avec Médecins sans frontières (MSF), a quitté au petit matin sa position dans les eaux internationales où il était immobilisé depuis le 17 août pour se rapprocher de Bizerte où un bâtiment de la marine tunisienne est venu à sa rencontre. Selon une source de MSF, l’Aquarius n’a accepté ce transfert qu’avec l’accord des cinq Tunisiens qui, après avoir refusé tout retour au pays, ont fini par s’y résigner. Selon une source officielle tunisienne, ils feront l’objet d’une amende, mais ils ne seront pas inquiétés au plan judiciaire.

« Nous ne pouvons les ramener en Tunisie contre leur gré »

Ce type de situation est inédit pour l’Aquarius dont les activités de secours se focalisaient jusqu’alors exclusivement au large des côtes libyennes. Le sauvetage du 17 août d’un canot pneumatique à bord duquel avaient embarqué les cinq Tunisiens relevait d’un concours de circonstances plutôt exceptionnel. L’Aquarius avait quitté le même jour Malte, où il avait débarqué 141 migrants en provenance de Libye, et se dirigeait vers Marseille pour une escale technique. Alors que le navire de secours se trouvait au large de Bizerte, l’équipage a pris connaissance d’une communication radio faisant état d’un canot pneumatique en situation de détresse. L’Aquarius a, dès lors, fait mouvement vers l’esquif en perdition, pourvu de seules rames en plastique et dont les cinq occupants étaient démunis de gilet de sauvetage.

Une fois transférés à bord de l’Aquarius, ces derniers ont fait état de leur volonté de demander l’asile politique et menacé de se « blesser eux-mêmes » – selon le journal de bord de l’Aquarius publié en ligne –, s’ils devaient être restitués aux autorités de leur pays. Dans ces conditions, les équipes de SOS Méditerranée et de MSF ont décidé de les garder à bord en attendant de clarifier leur situation et de trouver un éventuel port de débarquement hors de Tunisie.

L’impasse s’est prolongée, car ni la France ni l’Italie, pays sollicités par l’Aquarius, n’ont accepté de les accueillir. L’avis du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) des Nations unies qui, après s’être entretenu par Skype avec les Tunisiens, a établi que leur profil ne correspondait pas à celui de demandeurs d’asile, n’a fait que conforter un tel refus. L’équipage de l’Aquarius était toutefois hostile à toute idée de les restituer aux autorités de Tunis en raison de l’opposition des intéressés. « Nous ne pouvons les ramener en Tunisie contre leur gré, expliquait une source de MSF. Cela représenterait une violation du droit international sur les réfugiés. Ce serait un refoulement. » Il a fallu attendre le changement d’attitude des cinq rescapés, qui ont, finalement, accepté de retourner à terre, pour dénouer l’imbroglio.

Difficultés économiques et sociales en Tunisie

Ce type d’incident est révélateur du nouveau contexte migratoire autour de la Tunisie. Le petit pays d’Afrique du Nord, confronté à d’épineuses difficultés économiques et sociales, est le théâtre d’une reprise spectaculaire des départs illégaux vers l’Italie. Selon les chiffres officiels italiens, le nombre de Tunisiens arrivés illégalement en 2017 dans la péninsule a atteint 6 150 personnes, soit 7,5 fois plus qu’en 2016. La tendance s’est maintenue en 2018 avec le chiffre de 3 221 au 31 juillet. Les Tunisiens sont aujourd’hui la première nationalité à débarquer en Italie – devant les Erythréens et les Soudanais –, alors qu’ils étaient au huitième rang en 2017. Des Africains subsahariens, en nombre certes moindre, prennent également la mer à partir des côtes tunisiennes.

Cette nouvelle vague migratoire s’accompagne de nombreux drames. Le 17 août, huit migrants ont péri au large de Sfax. Les occupants de l’embarcation clandestine avaient mis le feu à celle-ci avant de se jeter à l’eau, afin d’échapper à leur interpellation par les gardes-côtes tunisiens. Le 2 juin, au moins une cinquantaine de migrants avaient également perdu la vie lors du naufrage de leur chalutier au large des îles Kerkennah dans la région de Sfax, la principale base de départs vers l’île italienne de Lampedusa.