Une petite camionnette se gare. Deux femmes en sortent. L’une d’entre elle se tient le ventre, l’autre tend une feuille blanche à un agent, qui la fait entrer dans le pavillon des urgences des maladies infectieuses. « Les patients n’entrent que s’ils ont une lettre d’un médecin qui dit suspecter un cas de choléra », explique l’un des agents, vêtu d’une combinaison de protection bleue foncée. Ce dimanche matin, plusieurs nouveaux patients se sont présentés à l’hôpital de Boufarik, à 35 kilomètres au sud de la capitale algérienne, où sont déjà hospitalisés plusieurs dizaines de personnes.

« Aujourd’hui, nous avons ici 104 personnes hospitalisées. Nous avons libéré une aile de l’hôpital et déclenché le plan Orsec, déclare le directeur de l’hôpital, Réda Darbouche. Plusieurs patients sont en réanimation après un état de choc lié à la déshydratation ». Plusieurs dizaines de patients, rétablis, sont sortis de l’hôpital la veille, selon lui. Dans la cour, plusieurs proches attendent des nouvelles : « Je n’ai pas le droit d’entrer, explique un homme venu apporter de la nourriture à son épouse hospitalisée. J’attends qu’un médecin vienne pour savoir comment elle va ». Les soignants sortent, couverts de masques, tabliers verts, et chaussons bleus : « Ce sont des mesures exceptionnelles, lorsque le risque de contagion est important », explique une hématologue.

Les autorités algériennes ont confirmé jeudi soir l’apparition d’une épidémie de choléra, dans les régions de Blida, là où se trouve l’hôpital de Boufarik, Alger, Bouira et Tipaza, assurant que l’épidémie était limitée « à quelques familles » et que la situation était « maîtrisée ».

Samedi, le ministère a confirmé le décès de deux patients et annoncé avoir découvert l’origine de la propagation de la bactérie : une source d’eau près de Tipaza, région limitrophe de l’ouest de la capitale. Dimanche matin, un nouveau bilan officiel est publié : 47 cas de choléra ont été confirmés, 147 personnes sont hospitalisées et la région de Médéa est désormais touchée.

Première déclaration du ministre de la santé

Entre les pavillons de l’hôpital de Boufarik, un employé court, un carton rempli de tabliers de protection dans les bras. Le ministre de la santé fait sa première apparition publique depuis l’annonce de l’épidémie et entre dans l’enceinte de l’hôpital, accompagné de la ministre de la solidarité nationale, Ghania Eddalia, d’une foule de policiers, de gendarmes et de journalistes. Les deux ministres traversent le pavillon d’isolement, vêtus de protections, avant de ressortir. A quelques mètres de là, Dalila [le prénom a été modifié] observe, amère : « Les bâtiments datent de l’époque coloniale, le staff paramédical est en sous-effectif, les normes d’hygiène ne sont pas respectées. Dans cet hôpital, on n’a pas les moyens de travailler en temps normal, alors imaginez une épidémie ! ». Ses collègues employées dans l’administration affirment que personne ne leur a expliquer la conduite à tenir face à l’épidémie, « alors qu’on se déplace de service en service pour des questions de ressources humaines ».

« J’ai peur que ça vienne de l’eau du robinet »

Les familles des patients ne comprennent toujours pas bien quelle peut être l’origine de la contamination. Les autorités avaient d’abord exclu une transmission du choléra par l’eau, privilégiant la piste de l’alimentation avant de désigner la source de Tipaza. Les responsables ont répété que l’eau courante était potable, mais cela ne suffit pas à rassurer les habitants. A quelques rues de l’hôpital, Tania est venue acheter plusieurs bouteilles d’eau de Javel. « J’ai peur que ça vienne de l’eau du robinet. Alors je désinfecte l’eau pour la cuisine et le bain de mes enfants. Pour boire, j’ai fait un stock d’eau minérale vendredi », explique-t-elle. Sur des images diffusées par la chaîne de télévision privée, on voit des habitants de Tipaza boire l’eau de la source déclarée impropre à la consommation, jurant qu’il n’y a aucun problème avec cette eau-là. Le ministre de la santé a indiqué avoir demandé aux responsables locaux d’ordonner des prélèvements sur les produits agricoles irrigués aux alentours de 38 points d’eau considérés « suspects » dans les régions touchées par l’épidémie. Accusé de négligence, le ministre de la santé a justifié son silence, lors d’une conférence de presse, expliquant que le ministère était « dans un cadre de suspicion », mais que « tout le monde était actif dès le début pour mettre en place une stratégie, qui vaut d’ailleurs plus qu’une visite ».