Nicolas Hulot, à l’Elysée, le 27 juin 2018 / PHILIPPE WOJAZER/REUTERS

Editorial. Spectaculaire dans le ton, inédite dans la forme, la démission de Nicolas Hulot du gouvernement, annoncée en direct sur les ondes de France Inter, mardi 28 août, exprime d’abord un aveu d’échec de la part du ministre de la transition écologique et solidaire. Pas plus que ses douze prédécesseurs depuis vingt ans, il n’est parvenu à modifier en profondeur l’action de l’Etat face aux défis climatiques, environnementaux ou sanitaires du monde actuel. Indépendant et exigeant – trop anxieux et capricieux, disent déjà ses détracteurs –, il en tire la conséquence : il se retire en espérant, sans trop y croire, que ce geste provoquera un électrochoc et réveillera les consciences.

Mais cette décision singulière constitue surtout un revers cuisant pour le président de la République, qui plus est à l’orée d’une rentrée délicate. Au lendemain de son élection, Emmanuel Macron avait réussi à convaincre cette personnalité atypique, symbole de l’engagement citoyen, de ne plus se contenter du pouvoir d’influence qu’il exerçait depuis longtemps, mais de mettre son talent et sa notoriété au service de l’action gouvernementale.

Par sa seule présence, son rang de ministre d’Etat et l’étendue de ses attributions, Nicolas Hulot apportait alors la garantie que la défense de la cause écologique ne resterait plus un vain mot. Comme un boomerang, son départ quinze mois plus tard démontre que, pour une large part, c’était un vœu pieux.

C’est d’autant plus vrai que l’intéressé a justifié sa sortie dans des termes cinglants. Au-delà de l’hommage affectueux qu’il a rendu au chef de l’Etat, au premier ministre et à ses anciens collègues, exception faite de celui de l’agriculture, c’est en effet un véritable réquisitoire que M. Hulot a dressé contre la politique gouvernementale.

Avec trois griefs essentiels. D’abord, a-t-il plaidé, la politique des « petits pas » dans laquelle il a été cantonné n’est pas à la hauteur des enjeux de cette « tragédie » climatique et environnementale qui menace la planète. « Avons-nous commencé à réduire nos émissions de gaz à effet de serre ? Non. Avons-nous commencé à réduire l’utilisation des pesticides ? Non. A enrayer l’érosion de la biodiversité ? Non », a-t-il martelé. A quoi s’ajoute « l’entêtement » des pouvoirs publics à préserver la filière nucléaire, « cette folie inutile ». Autant de sujets sur lesquels, à l’évidence, l’ancien ministre n’a pas réussi à convaincre et a été contraint, au contraire, à de peu glorieux renoncements.

« C’est un problème de démocratie »

S’il apparaîtra pour le moins naïf à beaucoup, le deuxième grief n’est pas moins sérieux et sévère. Il concerne le poids exercé sur les décisions publiques par les lobbys de toutes sortes, qu’il s’agisse du nucléaire, des chasseurs, de l’agro-industrie… La puissance de ces groupes d’intérêts, leur « présence dans les cercles du pouvoir » jusqu’au plus haut niveau a conduit M. Hulot à poser de rudes questions : « C’est un problème de démocratie. Qui a le pouvoir ? Qui gouverne ? »

Mais, plus encore, parce que cela touche directement le chef de l’Etat, responsable en dernier ressort, l’ancien ministre a pointé le grand écart qui existe, à ses yeux, entre les paroles et les actes, entre les déclarations flamboyantes et les arbitrages effectifs, entre une diplomatie environnementale offensive et ambitieuse et une politique nationale trop défensive et timorée. Avec ce mot terrible pour conclure : Nicolas Hulot ne voulait plus participer à « une forme de mystification ».

Enfin, le porte-voix de l’écologie a été au bout de ses convictions : comment affronter sérieusement les désordres de la planète, a-t-il questionné, si l’« on s’évertue à réanimer un modèle économique qui [en] est la cause » et si la dictature du court terme interdit de penser et de préparer les réorientations vitales à long terme ? En clair, peut-on être un libéral probusiness et un écologiste proplanète ? Cela revient à pointer les limites du « en même temps » macronien.

Nicolas Hulot reconnaît qu’il n’a pas les réponses à ces questions. Il revient désormais au chef de l’Etat d’en trouver.