L’avis du « Monde » – à voir

Logiquement, la ligue des ­acteurs septuagénaires ­devrait mettre un contrat sur la tête d’Alex Lutz, 40 ans, qui vient leur ôter le pain de la bouche avec une impudente réussite. D’autant qu’il est peu probable que le réalisateur et coscénariste de Guy ait procédé à des auditions pour le rôle-titre de son premier long-métrage, Guy Jamet, 74 ans, chanteur de variétés. Il s’est ­réservé la meilleure part du film.

Lire l’entretien avec Alex Lutz (dans « M ») : « Guy, c’est moi dans trente ans »

On trouvera comme circonstance atténuante à ce formidable égoïsme la cohérence d’un geste unique, qui va de l’écriture au jeu d’acteur, en passant par la mise en scène. Il s’agit de restituer le portrait d’un baby-boomeur vu par un enfant de la génération X, en procédant par l’accumulation de détails aussi insignifiants que justes, jusqu’à provoquer le vertige qui vient à la contemplation de certaines toiles hyperréalistes.

Alex Lutz a choisi la voie du faux documentaire. Il ne faut pour autant pas s’attendre à une version Maritie et Gilbert Carpentier du film This Is Spinal Tap, consacré à un groupe de hard-rock imaginaire. Dès les premières séquences, le metteur en scène bouscule les conventions du documentaire parodique, le « mockumentary », en introduisant un élément de fiction. Gautier, le réalisateur de ce portrait filmé d’une vieille idole toujours en activité, explique en voix off qu’il entreprend ce travail pour rencontrer l’homme dont sa mère lui a révélé, avant de mourir, qu’il était son père. Et si l’on veut avancer encore plus dans ce ­palais des glaces, Gautier (qui n’apparaîtra que très tard à l’écran) est joué par Tom Dingler, fils de Cookie, interprète de Femme libérée, numéro un des ventes en 1984.

Stupéfiante précision musicale

Pour revenir à Guy Jamet, c’est encore un bel homme, qui se flatte de n’avoir pas perdu ses cheveux mais dont l’élocution un peu ­empâtée trahit un récent ­accident vasculaire. Il vit dans un cabanon de luxe en Provence avec sa femme Sophie Ravel (Pascale ­Arbillot), actrice de télévision ­férue d’astrologie canine, et ses chevaux (Guy Jamet est d’une ­génération qui dit « ma femme et mes chevaux »). Il vient de réenregistrer ses tubes sur des arrangements vaguement country et sillonne la France avec un orchestre de jeunes gens qui semblent parfois s’ennuyer à jouer sa musique. Là encore, dans la reconstitution minutieuse des styles musicaux, Alex Lutz et ses collaborateurs, les auteurs-compositeurs Vincent Blanchard et Romain Greffe, font preuve d’une précision stupéfiante.

Alex Lutz peut compter sur un entourage hors pair : Nicole Calfan, Elodie Bouchez et Dany

On ne sait ce qu’il faut le plus admirer : la justesse des pastiches, la sobriété avec laquelle Lutz recourt aux documents d’époque – scopitone, extraits d’émissions de variétés – ou, sur un registre plus ambitieux, sa tentative de saisir, avant qu’elle ne disparaisse, une certaine manière d’être un homme. Se ­refusant presque trop systématiquement aux paroxysmes (la relation entre le fils caché et le père se gonfle de non-dits jusqu’à la fin du film), Alex Lutz procède par ­expressions un peu désuètes, par gestes d’un autre temps. Il peut compter aussi sur un entourage hors pair : Nicole Calfan est parfaite en ancienne combattante des guerres du Top 50, attachée de presse d’une fidélité indéfectible. Elodie Bouchez et Dany se partagent le rôle d’Anne-Marie, reine des nuits dans les années 1980 ­devenue entrepreneuse de fitness.

Il faut assortir ces louanges d’un avertissement : le risque de l’hyperréalisme est d’être touché par la contagion des maux dont souffre l’objet représenté. Et si l’on s’est ennuyé d’innombrables ­samedis soirs devant les émissions de variétés du service ­public, si l’on redoute de voir la ­télévision allumée le dimanche après-midi lors d’une visite familiale (Michel Drucker tient ici son propre rôle), il faudra surmonter ces phobies pour profiter de l’intelligence diabolique de Guy.

Guy - Bande-annonce officielle
Durée : 02:04

Film français de et avec Alex Lutz. Avec Tom Dingler, Pascale Arbillot, Elodie Bouchez, Dany, Nicole Calfan (1 h 41). Sur le Web : fr-fr.facebook.com/ApolloDistrib et materiel.apollo-films.com