Le marché du vin comme celui de l’enseignement supérieur sont tournés vers l’international / Olivier Bonhomme

Pour devenir un expert dans un métier du vin, il faut suivre un long parcours et un improbable chemin de traverse, comme en témoigne Jing Jing, 24 ans, fraîchement diplômée d’un master en agriculture de l’université de Pékin. La jeune femme quitte en 2017 la capitale chinoise pour Shanghaï, cœur économique du pays pour la fin de son cursus. Mais sur sa route, une dernière étape est nécessaire à sa formation : un crochet à l’autre bout du monde, à Dijon, en Bourgogne. Un large détour d’une année indispensable pour peaufiner sa connaissance du vin. Ce sera au sein de la School of Wine & Spirits Business, « école dans l’école » de la Burgundy School of Business.

Comme Jing Jing, des étudiants venus du monde entier sont chaque année un peu plus nombreux à venir se former au sein des terroirs français. Alors que l’internationalisation est l’alpha et l’oméga de toute formation supérieure, « le vin, c’est la France », résume Jacques-Olivier Pesme, expert dans les métiers du vin et ancien directeur de la Wine & Spirits Academy du groupe Kedge, en Gironde. Alors c’est à Reims, Bordeaux, Angers, Dijon ou Montpellier que les wine makers et négociants de demain viennent se former.

Le vin est un produit complexe, souvent lié à un lieu, une origine et un savoir-faire spécifiques. « Gérer ce produit, ce n’est pas seulement gérer une entreprise, mais gérer collectivement une région, s’engager dans l’organisation et la promotion d’un territoire », soulignent Jérôme Gallo, directeur de la School of Wine & Spirits Business, et Steve Charters, professeur de marketing, dans leur ouvrage, Economie et management du vin (Pearson Education, 2014).

La terre, ses codes et ses traditions

Pour maîtriser ce produit et comprendre le travail de ceux qui le façonnent, on ne peut ignorer ses codes et ses traditions. « Chaque vin à une identité, une typicité en lien avec des actes techniques, des caractéristiques géologiques et climatiques », poursuit René Siret, directeur de l’Ecole supérieure d’agriculture d’Angers. Il faut donc apprendre à maîtriser les caractéristiques d’un produit aux multiples facettes. « Mieux vous comprendrez la terre, mieux vous en parlerez, mieux vous la vendrez », résume Jacques-Olivier Pesme.

La France et ses terroirs sont un terrain d’apprentissage sans égal pour acquérir ces compétences. C’est « également une acculturation que les étudiants étrangers viennent trouver ici », affirme Philippe Jeandet, directeur du master vins et champagne de l’université de Reims. S’immerger dans la « culture » du vin, parler son « langage », pour être en mesure de faire des affaires avec « les gens du milieu qui vont vous reconnaître comme un membre du clan », poursuit M. Jeandet.

School of Wine & Spirits Business, une « école dans l’école » de la Burgundy School of Business, à Dijon, en Bourgogne. / Eric Nunès / Le Monde

Etudier les métiers du vin à Bordeaux, en Bourgogne ou en Champagne apparaît comme une évidence et représente un atout qu’écoles et universités françaises rappellent à l’envi. C’est sur les traditions et la reconnaissance internationale de ces terroirs, qu’elles construisent leurs formations, attirant un nombre croissant d’étrangers. En 2017, des étudiants de dix-sept nationalités différentes ont suivi le master 2 de la Burgundy School of Business, seize pour la Wine & Spirits Academy bordelaise.

Sur des territoires grands comme un mouchoir de poche – en comparaison avec un marché qui est, lui, planétaire –, chaque établissement rassemble « une concentration d’expériences et de richesses, liées aux métiers du vin, qui est exceptionnelle. Il y a tous les maillons de la chaîne, les gros volumes de production comme les châteaux les plus prestigieux, les négociants, les maîtres de chai, les embouteilleurs, les bouchonniers… tout est là », observe Jacques-Olivier Pesme.

Se tourner vers les marchés émergents

Si la technicité et les traditions se concentrent sur le territoire français, « le marché du vin comme celui de l’enseignement supérieur sont tournés vers l’international », remarque Jérôme Gallo. La France, l’Italie et l’Espagne demeurent les trois plus gros producteurs de vin, mais ils sont immédiatement suivis par les Etats-Unis, l’Australie et… la Chine. Les Européens sont les champions de l’exportation, mais ils sont talonnés par des pays producteurs très performants tels que le Chili, l’Australie et l’Afrique du Sud.

« Pendant longtemps, les producteurs français n’avaient qu’à pousser leurs bouteilles pour les vendre », reconnaît M. Gallo, mais depuis environ trois décennies, les acteurs émergents du Nouveau Monde « ont taillé des croupières à ceux de l’Ancien ». Alors que l’Europe ronronnait, fière de son expérience millénaire, de nouveaux vins, plus faciles à comprendre, arrivaient sur le marché. « Pas les meilleurs, mais portés par des personnes qui savent faire du business, faire du marketing avec leurs atouts », poursuit le directeur de l’école bourguignonne.

Les élèves sont formés à la macroéconomie, à la communication avec, en point d’orgue, le marketing

Parallèlement, les marchés traditionnels s’essoufflent. Les perspectives de croissance sont visibles à Singapour notamment, puis demain en Inde et en Afrique. En Chine, « seulement 1,5 % de la population boit du vin, rappelle René Siret, la marge de progression du marché est donc considérable ». A Bordeaux, Reims ou Dijon, c’est donc souvent en anglais que les écoles forment leurs élèves à leurs métiers. Si chacune d’entre elles a ses spécificités, le tronc commun reste comparable : au-delà d’un apprentissage poussé de la viticulture et la science de la vigne, les écoles de commerce comme les universités forment à la macroéconomie, aux spécificités de l’industrie viticole, au droit, à la communication, à l’observation des marchés et des goûts du public avec, en point d’orgue, le marketing. « Une politique qui fera que vous êtes capable de faire d’un vin que votre concurrent vendra 20 euros la bouteille, un produit d’exception, qu’un acheteur sera prêt à payer 50 euros », avance Philippe Jeandet.

Pas de chômage, disent les écoles

Devenus experts du savoir-faire du monde viti-vinicole français, élèves et diplômés des écoles et des universités de l’Hexagone seront les prescripteurs de demain. Ambassadeurs de traditions, ils s’enrichissent également des compétences glanées au-delà des frontières hexagonales. Ainsi, Montpellier SupAgro et l’Institut des hautes études de la vigne et du vin (IHEV) forment leurs étudiants dans le cadre « d’un cursus itinérant dans les grands bassins viticoles du monde », rapporte Bruno Blondin, directeur de l’IHEV.

Pas de chômage pour les globe-trotteurs de la vigne. Selon les établissements, 100 % des diplômés trouvent un emploi dans les semaines ou les mois qui suivent leur fin d’études. Entre les tenants de l’Ancien Monde qui se battent pour survivre ou s’imposer, et ceux du Nouveau qui veulent prendre la place, « il y a des besoins dans le monde entier, promet Jacques-Olivier Pesme, il suffit d’être ouvert, mobile et agile ». Les qualités du wine maker contemporain.