Ryan Gosling est Neil Armstrong dans le film « First Man », réalisé par Damien Chazelle. / UNIVERSAL PICTURES / AP

Bis repetita. Deux ans après avoir ouvert la Mostra avec La La Land (six fois oscarisé quelques mois plus tard), le cinéaste Damien Chazelle a récidivé. First Man, son nouveau film, a été présenté, mercredi 29 août, lors de la soirée inaugurale de la 75e édition du festival international du cinéma de Venise. A ses côtés, pour son arrivée sur le tapis rouge du Palais du cinéma, Ryan Gosling, Claire Foy et Jason Clarke ont déclenché un déchaînement de cris à faire exploser les tympans.

En 2016, Damien Chazelle était venu dans la Cité des Doges avec une comédie musicale qui, derrière la légèreté inhérente au genre, n’en menait pas moins une réflexion sur les illusions du monde hollywoodien. En 2018, il revient avec une aventure spatiale qui prend à contre-pied le grand spectacle en s’attachant au portrait d’un astronaute, Neil Armstrong. Et ce, sur une période très restreinte : de 1961 (quelques mois avant son entrée à la NASA), au 20 juillet 1969, date à laquelle il deviendra le premier homme à poser le pied sur la lune.

Le président de la Mostra, Alberto Barbera, n’a en tout cas pas caché sa fierté d’accueillir Damien Chazelle qu’il considère comme un des « plus importants réalisateurs américains d’aujourd’hui », pour un film qu’il juge de surcroît « surprenant par rapport aux autres films épiques de l’époque ».

Parti pris sismique et syncopé

Un autre hommage a animé cette cérémonie d’ouverture durant laquelle ont été présentés les jurys des différentes catégories (sélection officielle présidée par Guillermo del Toro ; Orizzonti, Réalité virtuelle…) : celui rendu à la comédienne britannique Vanessa Redgrave, à qui a été remis un Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière. Resplendissante et malicieuse, cette dernière, après des remerciements et un hommage rendu à la Mostra, en italien, a reçu une longue ovation du public. Lequel, après une bonne heure d’introduction et de discours sans surprises sur le cinéma en particulier et l’art en général (exercice oblige), a pu voir s’éteindre les étoiles projetées sur les murs et le plafond de la grande salle du Palais, pour se retrouver, sans préambule, plaqué dans le fond des fauteuils.

La comédienne britannique Vanessa Redgrave recevant un Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière, à la Mostra de Venise, le 29 août. / JOEL C RYAN / INVISION / AP

Le départ fut immédiat. Les premiers plans de First Man placent dans un siège d’attraction de parc à thème où le corps et les sens sont mis à dure épreuve. Images convulsives, floues, imprécises, abstraites, comme déchiquetées, bande-son tonitruante qui vrombit dans le ventre… tout semble déréglé et au bord du chaos. Tout l’est en effet, à bord du vaisseau spatial dans lequel Neil Armstrong (Ryan Gosling) effectue une des premières missions habitée du programme Gemini 8 qui tente de réaliser la jonction en orbite entre deux engins.

Cette scène est la première de ce type. Il y en a d’autres dans First Man, légèrement différentes selon les problèmes rencontrés mais toujours éprouvantes, et toujours filmées à l’identique, selon le même parti pris sismique et syncopé. Au point que leur répétition produit un effet laborieux dans lequel le film se fait parfois absorber.

Désir de vérité

Passons, puisqu’elles sont aussi ce qui ponctue, jusqu’à progressivement l’envahir, le quotidien du héros du film, sa vie douce, pudique, joyeuse auprès de ses enfants et de sa femme, Janet (Claire Foy, plus largement connue depuis son rôle dans la série The Crown). Cette alternance entre l’intime (aux allures très classiques) et le spectaculaire (que le cinéaste s’attache à pulvériser) permet à Damien Chazelle de maintenir son cap : demeurer proche de son personnage qu’il n’érige pas en surhomme. Au contraire, First Man raconte une aventure humaine, à travers les difficultés, les déboires, les échecs parfois meurtriers, les découragements.

Damien Chazelle s’est inspiré de la biographie du même nom de James R. Hansen publiée en 2005, et fait appel au scénariste Josh Singer (Pentagon Paper, Spotlight, Le Cinquième Pouvoir). De quoi servir ce désir de vérité – cet aspect « reportage », a-t-il même précisé – auquel il répond, sophistique et tempère en même temps, par une haute technicité de la réalisation. Quant au dosage entre les plages de vie ordinaire et les séquences « fantastiques », que tisse le film avec maîtrise, il n’est pas sans rappeler la patte d’un Steven Spielberg, par ailleurs producteur exécutif du film. Une évocation qui, pour Damien Chazelle, relève plus d’un partage de point de vue et de sensibilité artistique que d’une influence.

Car Chazelle sait faire. Il sait utiliser les genres pour les amener à lui, et vers des thèmes qui lui tiennent visiblement à cœur, que l’on retrouve d’un film à l’autre. Parvenir à ses fins, concrétiser ses rêves, devenir quelqu’un, et peut-être même un héros, ne se fait pas sans y laisser des plumes. Comme Neil Armstrong, les personnages principaux de La La Land et de Whiplash, son premier film, en faisaient l’expérience.