Manifestation à Chemnitz (Allemagne), le 30 août 2018. / ODD ANDERSEN / AFP

L’atmosphère était encore tendue, jeudi 30 août, à Chemnitz (Saxe), quatre jours après la mort d’un Allemand de 35 ans tué au couteau, dans la nuit de samedi à dimanche, en marge des festivités organisées pour le 875e anniversaire de cette ville de 240 000 habitants proche de la frontière tchèque.

Pour la troisième fois depuis dimanche, plusieurs organisations d’extrême droite avaient appelé à manifester, cette fois devant le stade municipal où le ministre-président du Land de Saxe, le conservateur Michael Kretschmer (CDU), était venu participer à un « dialogue citoyen » avec les habitants de Chemnitz.

Bien moins importante que celle de lundi soir, qui avait réuni plus de 6 000 participants et donné lieu à des affrontements avec des groupes d’extrême gauche, causant au total une quinzaine de blessés, la manifestation de jeudi n’a rassemblé qu’un millier de personnes et s’est déroulée sans incident. Il faut dire que les autorités, sévèrement mises en cause ces derniers jours pour leur incapacité à faire respecter l’ordre public, s’étaient, cette fois, beaucoup mieux préparées. Plus de 1 200 policiers avaient ainsi été mobilisés, soit deux fois plus que lundi et alors que les manifestants étaient six fois moins nombreux.

Pour l’occasion, cinq Länder voisins avaient également envoyé des renforts. Enfin, des membres de la police fédérale avaient fait le déplacement. Une façon pour le ministre de l’intérieur, le conservateur bavarois Horst Seehofer (CSU), qui avait été très critiqué pour son silence et son inaction en début de semaine, de montrer que le gouvernement fédéral a pris la mesure de la gravité des événements, au-delà des mots prononcés, mardi, par Angela Merkel. « Nous avons vu des chasses collectives, nous avons vu de la haine dans la rue, et cela n’a rien à voir avec un Etat de droit », avait alors déclaré la chancelière, à la veille d’un déplacement de trois jours au Sénégal, au Ghana et au Nigeria.

Un « scandale »

Hommage à l’homme poignardé à Chemnitz. / ODD ANDERSEN / AFP

Même si la manifestation de jeudi a permis aux autorités de montrer qu’elles gardaient la maîtrise de l’ordre public, la situation n’en reste pas moins très tendue sur le plan politique, en particulier à cause des soupçons, réveillés par cette affaire, d’une collusion entre l’extrême droite et les administrations régionales. Le problème n’est pas nouveau dans ce Land de l’ex-Allemagne de l’Est où la CDU, qui dirige l’exécutif régional depuis la réunification du pays, en 1990, est régulièrement accusée de faiblesse, voire d’indulgence à l’égard de l’extrême- droite.

Les événements de Chemnitz ont remis le sujet au cœur de l’actualité. Jeudi après-midi, un fonctionnaire de l’administration pénitentiaire, dépendant du ministère saxon de la justice, a ainsi révélé avoir transmis à un groupe local d’extrême droite des documents judiciaires confidentiels – en l’occurrence deux mandats d’arrêt – concernant l’enquête ouverte après le meurtre de ce week-end. Ces documents, où figurent les noms des deux accusés, un Syrien et un Irakien d’une vingtaine d’années qui ont été arrêtés lundi par la police, avaient été largement relayés par l’extrême-droite sur les réseaux sociaux.

Jeudi, le fonctionnaire à l’origine de la fuite, a dit avoir agi « au nom de la vérité », accusant « les médias d’avoir beaucoup spéculé sur cette affaire ». Il a été suspendu, mais l’affaire est d’autant plus embarrassante pour les autorités régionales qu’elle survient après une autre mise à pied, celle d’un fonctionnaire de police qui avait violemment pris à partie une équipe de la chaîne de télévision ZDF, le 16 août, lors d’une manifestation organisée par le mouvement islamophobe Pegida, à l’occasion d’un déplacement de Mme Merkel à Dresde. L’homme était certes en congés, mais la révélation de son identité avait réveillé les accusations de noyautage des administrations régionales par l’extrême-droite.

D’autres manifestations sont annoncées samedi dans la Saxe, en particulier à Plauen, près de la frontière bavaroise, ainsi qu’à nouveau à Chemnitz, à l’appel de Pegida et du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD). Cette fois, les organisateurs espèrent mobiliser plusieurs milliers de personnes, en misant notamment sur les avancées de l’enquête, qui a révélé que l’un des deux accusés se trouvait illégalement en Allemagne depuis 2016, date à laquelle il aurait dû être expulsé en Bulgarie, où il avait été enregistré comme demandeur d’asile. Un « scandale » que l’AfD a largement commenté, jeudi, tout en réclamant « l’expulsion immédiate de tous les criminels étrangers ».