Aux côtés de Daenerys Targaryen de Game of Thrones, le Joker de Batman a fière allure. Il ne semble pas faire attention à Freezer (Dragon Ball), derrière lui, pourtant accompagné d’Olaf, le bonhomme de neige de La Reine des neiges, et de la princesse Leia (Star Wars). Non, ceci n’est pas la description du plus ambitieux cross-over de l’histoire de la culture geek, mais celle de l’étagère du collectionneur typique de Funko Pop.

Un petit corps, une grosse tête carrée, pas de bouche… Depuis leur arrivée sur le marché en 2011, ces figurines d’une dizaine de centimètres en moyenne ont envahi les chambres, les bureaux… et Internet. Sur YouTube, des centaines de vidéos mettent en scène des déballages de cartons remplis de Pop par des collectionneurs à l’enthousiasme débordant.

Les boîtes des Pop sont valorisées au même titre que la figurine elle-même par certains fans, qui ne prennent même pas le risque d’ouvrir l’emballage. / Bastien Lion / Le Monde

En France, le phénomène a progressivement pris de l’ampleur. Au point même de disposer de boutiques, physiques et en ligne, leur étant entièrement consacrées. Chez Micromania-Zing, boutiques consacrées aux goodies, la vente de Pop représente « une part très significative » du chiffre d’affaires (environ 33 % selon nos informations). Sur son site Popito.fr, Jérémi Iogna affirme recevoir « entre 15 000 et 25 000 visiteurs uniques par mois, avec un panier moyen à trois Pop et demi ».

« J’en ai acheté deux, et au bout d’un moment j’en avais 250. »

Ce n’est pas un hasard si M. Iogna s’est lancé sur ce marché, car il est lui-même un collectionneur acharné. « Je suis tombé sur le concept il y a trois ans. J’en ai acheté deux et, au bout d’un moment, j’en avais 250. » Le profil des passionnés de Funko Pop est souvent le même. On tombe sur une figurine dans une boutique ou chez un ami, et très vite, on perd le contrôle. « Après vérification sur PopPriceGuide [un site conçu pour gérer sa collection], j’ai 167 Pop, révèle Guillaume Roger, un autre passionné. Evidemment, j’ai mes préférées, car il y a des licences ou des personnages que je préfère à d’autres, comme les Rick & Morty, Le Seigneur des Anneaux, Mad Max, Vikings ou encore Parks and Recreations. »

Nintendo, seul résistant à la vague Pop

Au-delà de son prix, relativement peu coûteux, la principale qualité de la Pop réside, en effet, dans son exhaustivité. C’est simple, il n’existe qu’une entreprise qui résiste encore et toujours à Funko : Nintendo, qui a toujours mis un point d’honneur à maîtriser l’entièreté de sa chaîne de production et de marketing, jouets compris. En attendant de voir débarquer Link, Mario ou Samus Aran sur les étagères, il faudra donc se contenter de tout le reste. « Quand on commence, on se dit toujours qu’on aimerait collectionner toutes les figurines des franchises que l’on apprécie, analyse Jérémi Iogna. Mais avec les Pop, c’est mission impossible. Il vaut mieux se concentrer sur une série en particulier, sinon ça devient extrêmement frustrant. » Il est vrai qu’avec près de 6 000 Pop différentes éditées par Funko, difficile de savoir quand s’arrêter.

Funko bénéficie d’une place de choix dans la plupart des grosses conventions geek, ici à la San Diego Comic Con, en 2017. / Gage Skidmore / Flickr (https://www.flickr.com/photos/gageskidmore/35987341291/)

Pour certains fans, ce nombre semble, pourtant, ne pas être assez important. Sur leur chaîne YouTube « Modzii » dédiée en grande partie aux Pop, Jérémy Barrere et Jessica Capron présentent régulièrement des figurines « custom », faites maison à partir d’un modèle nu vendu par Funko, ou d’une Pop existante métamorphosée pour l’occasion. Un concept encouragé par Funko, toujours friand de nouvelles idées à développer. La pratique, assez peu répandue en France, est très courante outre-Atlantique. Jérémy et Jessica reçoivent donc « environ 200 e-mails de demandes de nouvelles figurines par mois ». Pour le moment, le couple se concentre sur la production de Pop de youtubeurs, à destination de leurs 20 000 abonnés.

Pénuries savamment gérées

D’autant que l’entreprise, cotée en bourse depuis 2017, « sait parfaitement organiser la pénurie », selon M. Iogna. Si le prix d’une figurine est en moyenne de 15 euros, sur le Web, certaines atteignent des sommes astronomiques. Les séries de Pop sont, en effet, pour la majorité d’entre elles, limitées. Particulièrement réactif sur les marchés américain et asiatique, où les exclusivités fleurissent dans les conventions geek, Funko semble, par ailleurs, « moins concerné par les acheteurs européens », fustige le créateur de Popito.fr. « Les figurines peuvent prendre de la cote du jour au lendemain. Par exemple, sur la première vague Game of Thrones, il s’agissait de Pop tout à fait communes et, à un moment, ils ont fait un arrêt de production. Alors ils mettent le moule dans un coffre-fort, la valeur grimpe, et des figurines qui coûtaient dix ou quinze euros en atteignent facilement 60, 70, 130, 200… Ce qui amplifie la frustration du collectionneur. »

« Ça reste quinze euros pour une petite figurine sans beaucoup de détails »

En laissant gonfler cette frustration, Funko prend le risque de décourager une partie des collectionneurs. C’est, en tout cas, la voie sur laquelle s’engage Guillaume Roger, qui confesse une certaine « lassitude » face à « l’inondation du marché » et aux multiples exclusivités produites lors des conventions. Une démarche qui faciliterait l’apparition dans la communauté française de « spéculateurs et de pseudo-collectionneurs qui achètent beaucoup de figurines en peu de temps, avant de tout revendre quelques semaines après ».

Dans le magasin « Zing » de Bercy Village, un mur est entièrement consacré aux Funko Pop. / Bastien Lion / Le Monde

« Ça reste quinze euros pour une petite figurine sans beaucoup de détails, visuellement pas au goût de tout le monde », note Aurélien Adam, créateur du blog Gohan et lui-même collectionneur. Les déçus de la Pop pourraient donc se tourner vers d’autres types de figurines. Dans sa catégorie, Funko fait déjà face aux « Amiibo » de Nintendo et aux « Nendoroid » de l’entreprise japonaise Good Smile Company. Pour certains collectionneurs, les Pop peuvent être une porte d’entrée vers des modèles haut de gamme, plus coûteux mais également bien plus travaillés. « Aujourd’hui, j’ai reçu ma toute première statue Sideshow [une entreprise californienne spécialisée dans la figurine de luxe] et ça ne va pas être la dernière, s’emballe Guillaume Roger. Le prix, la taille, la finition, la matière… tout est différent. Et c’est un réel plaisir de déballer ce genre d’objet. »