Les retrouvailles de Bakry et de Cédric Herrou, à Breil-sur-Roya, le 12 juillet 2018. / Pablo Aiquel

Chronique. Attablés à la terrasse d’un hôtel en périphérie de Montélimar (Drôme), cinq Soudanais, un Erythréen et un Libyen terminent de dîner. Un kebab chacun, seul repas halal qu’ils ont trouvé en ville après 21 heures. Nous sommes arrivés de Vichy un peu plus tôt, pour une nuit d’étape, avant de poursuivre la route jusqu’à Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes). Les Soudan Célestins Music, le groupe de réfugiés que Le Monde suit dans le cadre du programme Les Nouveaux Arrivants, y sont attendus pour l’ouverture du festival des Passeurs d’humanité, organisé par l’association Les Amis de La Roya du 12 au 15 juillet.

« Pablo, tu peux venir s’il te plaît ? », me lance Adel El-Kordi, le traducteur libyen. « Bakry n’est pas encore réfugié en fait. Il est demandeur d’asile et attend une réponse de la CNDA », me dit Adel après avoir discuté (en arabe) du programme du lendemain avec les six Soudanais. Et en attendant la réponse de la Cour nationale du droit d’asile, Bakry ne peut pas quitter le territoire français.

Or nous avions prévu de passer quelques heures à Vintimille, à quelques dizaines de minutes de Breil-sur-Roya, côté italien. Pour ces réfugiés, revenir fouler les rues et les places de Vintimille une carte de séjour européenne dans la poche, c’était symbolique. La plupart étaient passés par là, par les routes, la montagne ou la voie ferrée. Mais pour Bakry le demandeur d’asile, le risque de se faire contrôler à la frontière est trop grand, et nous changeons donc nos plans.

Havre de fraternité

Nous irons finalement faire un tour chez Cédric Herrou, le paysan qui héberge des migrants dans la vallée de la Roya.

Sur la route de Vichy à Montélimar, j’ai expliqué aux réfugiés, avec l’aide d’Adel, l’enjeu du festival des Passeurs d’humanité sur cette frontière où des militants d’extrême droite tentent de refouler des migrants ; je leur ai parlé de la marche des solidarités qui a eu lieu entre Breil-sur-Roya et Calais ; de la victoire que représente la décision du Conseil constitutionnel, quelques jours plus tôt, de consacrer la valeur constitutionnelle du « principe de fraternité » ; et de Cédric Herrou. « Je le connais, c’est lui qui m’a amené à Nice », est intervenu Bakry. Nous ne le savions pas. Ce soir-là, à Montélimar, nous décidons donc de le retrouver, sans prévenir.

Le lendemain, après quelques heures de route, l’entrée du chemin conduisant chez Cédric Herrou, son poulailler et ses ruches est plus facile à trouver que ce que nous pensions : il suffit de s’arrêter au gendarme qui monte la garde – et de lui présenter nos papiers – avant de parcourir à pied les 500 derniers mètres. L’agriculteur militant accueille Bakry par une chaleureuse accolade. Devant la cuisine, sous le toit en bois du porche, Cédric a accroché les dizaines de dessins réalisés par ses hôtes de passage. En quelques secondes, Bakry retrouve le sien. Des journalistes italiens immortalisent l’instant pour une télévision alternative. Nous resterons quelques minutes dans ce havre de fraternité, avant de repartir pour préparer le concert du soir.

Pablo Aiquel est journaliste indépendant. Il travaille pour La Gazette des communes comme correspondant Auvergne et ruralités.