« Tarif #virtuel : #Nude : 10 € », « Pack 50 nudes = 40 € », « Showcam privé 2 h > 40 € », « Réel : 60 € », trompettent de nombreux comptes Twitter français. Photo de profil suggestive volée sur Internet, compte PayPal ou cagnotte Le Pot Commun en lien dans la bio…, les prestations sexuelles promises se révèlent souvent être des arnaques.

Capture d’écran du compte Twitter @nudzz666. / Twitter

En deux ans sur Twitter, Paul s’est déjà fait avoir « six ou sept fois » d’une vingtaine d’euros. Ce Suisse de 23 ans confie : « Ça s’est toujours passé de la même façon : les photos de profil me semblaient vraies, mais, suite au paiement, le compte me bloquait. » Malgré un « sentiment d’injustice », Paul n’a jamais déposé plainte — « je ne voulais pas dévoiler mon identité ! ».

La récente lutte de Twitter contre les utilisateurs frauduleux n’empêche pas ces arnaques de prospérer. Des centaines de ces comptes, créés — ou recréés — la plupart du temps en 2018, sont liés entre eux par des retweets, abonnements ou « j’aime ».

Une brève recherche d’images inversée et quelques clics suffisent presque dans tous les cas à découvrir le pot-aux-roses, comme ce compte de « Lisa », qui pille des photographies de Chloé Jouannet, fille de l’actrice Alexandra Lamy.

Capture d’écran du compte Twitter @_lisaprf. / Twitter

Ou encore ce compte à plus de 10 000 abonnés, qui vole les photographies d’une mannequine anglaise.

Capture d’écran du compte Twitter @AthenaMryy. / Twitter

Le Syndicat du travail sexuel (Strass) a été alerté de ces fausses annonces. « C’est un
phénomène nouveau, sur lequel nous n’avons pas encore assez de recul »
, explique une responsable. Et de rappeler que « toute une partie du travail du sexe concerne uniquement le multimédia : sexcam, téléphone rose, vente de sous-vêtements… Mais ça ne se passe jamais sur les réseaux sociaux, à part peut-être sur OkCupid, Tinder ou Grindr, qui sont déjà des lieux de rencontre ». Pas de doute, « dans l’immense majorité des cas, toute proposition d’ordre sexuel tarifée sur Twitter est une arnaque », confirme-t-elle.

Marie Soulez, avocate spécialiste en droit du numérique, explique :

« La publication d’une annonce, si elle n’est pas suivie de contacts physiques, n’est pas passible de sanctions. Elle correspond en revanche à la définition de l’escroquerie. Mais il est fréquent qu’aucune plainte ne soit déposée, parce qu’en sollicitant des relations de nature sexuelle auprès d’une personne se livrant à la prostitution, en échange d’une rémunération, les victimes sont passibles d’une contravention de 1 500 euros et de peines complémentaires selon la situation. »

Jeux-concours et « fact-checking »

En 2017, les escroqueries concernaient 51 % des plus de 153 000 signalements reçus par la direction centrale de la police judiciaire sur sa plate-forme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos), spécialisée dans les comportements illicites sur Internet, selon un rapport de la délégation ministérielle aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces (Dmisc). Les annonces frauduleuses et les « escroqueries à la romance » concernent respectivement 22 % et 2 % des modes opératoires enregistrés en 2016 et en 2017 par la police.

« Les hébergeurs de contenu engagent leur responsabilité civile… »

Contacté, le réseau social n’a pas donné suite à notre demande. Me Soulez rappelle pourtant que « les hébergeurs de contenu engagent leur responsabilité civile dès lors qu’ils ne procèdent pas au retrait ou qu’ils ne rendent pas l’accès impossible aux informations et activités à caractère illicite dont ils ont connaissance, notamment par les procédures de signalement ».

Ces comptes d’arnaque très actifs sont pourtant loin d’être cachés. Ils culminent parfois à des milliers, voire à des dizaines de milliers d’abonnés. Et si, au cours de notre enquête, nous n’avons pas décelé de tweets sponsorisés, les faux « jeux-concours » pour se faire de la publicité, couronnés de centaines de retweets, sont légion.

Capture d’écran du compte Twitter @_Mariee6363. / Twitter

Pour lutter contre cette impunité, des internautes s’improvisent justiciers. Jef « traque » depuis un an et demi ces « comptes extrêmement nuisibles » tenus par « des gars probablement sexuellement frustrés qui se mettent en tête que les femmes aiment vraiment être traitées de façon dégradante ». L’arme de ce chimiste suisse ? Un compte Twitter sur lequel il « certifie » les vrais comptes et épingle les « fakes ».

« Il y en a des milliers. J’en trouve sans souci une vingtaine par jour. C’est de l’argent facile, et Twitter s’en fout : j’ai beau les signaler avec preuves à l’appui, ils sont toujours actifs. » Comme le trentenaire, d’autres anonymes se sont mis au fact-checking.

« Certains escrocs ont plusieurs comptes, où ils se citent entre eux, histoire de donner du crédit à leur “fake” », assure Jef. Pire encore pour ce chasseur de faux comptes : la présence probable, sur certains de ces comptes, de « revenge porn » — le fait de publier un contenu sexuellement explicite sans le consentement des principaux intéressés, pouvant être puni de deux ans de prison et de 60 000 euros d’amende depuis la loi numérique de 2016. « Mais ceux qui n’ont aucun scrupule à utiliser des photos personnelles de leur “ex” sont impossibles à démasquer. »

Précarisation des travailleurs et travailleuses du sexe

Selon l’association pour l’abolition de la prostitution Mouvement du nid, 62 % de la prostitution en France passe aujourd’hui par Internet. Pour Laurent Mélito, sociologue des pratiques de l’escorting, « Twitter est une possibilité parmi d’autres. Mais des escorts qui ne fonctionnent que par ce réseau social pour déposer une annonce et répondre à des clients, pour moi, ça n’existe pas ». Et nombre de ces comptes ne proposent en outre que des services virtuels : photos, vidéos, discussions… « Il y a des escorts qui ont des liens étoffés avec certains clients et qui font circuler des photos pour alimenter la relation. Mais ça ne fait pas l’objet d’une rémunération à distance. »

« Quand on est nouveau ou nouvelle, on se fait vite avoir », Cassidy

Cassidy est une escort occasionnelle. Elle a commencé à proposer ses services sur Twitter, entre autres, en mai 2018. « C’est anonyme, on peut créer un compte facilement, et il y a une grosse communauté avec beaucoup d’offres et de demandes. » Mais la jeune femme de 23 ans a vite déchanté. « Sur Twitter, on perd beaucoup notre temps. Comme il y a au moins 95 % de “fakes”, dont beaucoup achètent des followers pour donner confiance, on doit trouver des stratagèmes pour prouver notre identité. Par exemple, faire une vidéo où on dit la date et l’heure en filmant notre bouche. Alors qu’au bout du compte, seul un client sur dix est prêt à payer. »

Une activité « très chronophage » où la méfiance est de mise. « Des faux comptes m’ont contactée pour faire ami-ami. Certains m’ont envoyé des “nudes”, trouvés sur des sites russes, en me demandant de faire pareil en échange. » Il en va de même pour les autoproclamés comptes de fact-checking. « Des “antifakes” ont cherché à abuser de moi en proposant de me “certifier” contre des “nudes” gratuits. Quand on est nouveau ou nouvelle, on se fait vite avoir. »

De quoi toujours fragiliser davantage les escorts. Le Strass voit d’ailleurs dans l’apparition de ces comptes frauduleux un effet pervers de la loi de 2016 sur la prostitution, qui pénalise les clients. Pour le syndicat, ces arnaques pourraient aussi servir à « livrer des clients à la police » ou à « attirer des clients pour les piller ». « Ce qui est sûr, c’est que ça précarise encore plus notre travail. »