L’île de Diego Garcia, dans l’archipel des Chagos, abrite une base militaire américano-britannique. / Stringer . / REUTERS

L’île Maurice a revendiqué devant la Cour internationale de justice (CIJ), à La Haye, sa souveraineté sur les îles Chagos, lundi 3 septembre, disant avoir été forcée de céder au Royaume-Uni, en 1965, cet archipel de l’océan Indien où Londres a ensuite installé une base commune avec les Etats-Unis.

« Plus de cinquante ans après l’indépendance, le processus de décolonisation de Maurice reste incomplet », a déclaré devant la CIJ l’ancien président mauricien Anerood Jugnauth, qui participa aux négociations de l’époque. Le découpage territorial a été effectué « sous la contrainte », dans le cadre des pourparlers sur l’indépendance de Maurice, accordée trois ans plus tard par Londres, a ajouté l’ancien dirigeant.

La séparation de l’archipel de 55 îles, dont seules trois sont habitées, a été suivie de l’expulsion d’environ 2 000 Chagossiens – décrits dans un câble britannique de l’époque comme « quelques Tarzans et Vendredis » – vers l’île Maurice et les Seychelles pour faire place à la base militaire de l’île de Diego Garcia. Le Royaume-Uni s’était servi des pourparlers sur l’indépendance de ce territoire semi-autonome pour parvenir à ses fins, tout en versant une somme de 3 millions de livres en échange des Chagos.

« Enorme pression »

Lundi, l’ex-président Jugnauth a affirmé que la délégation mauricienne de l’époque n’avait eu droit « à aucune marge ni aucun choix » sur la question des Chagos. Lors de rencontres secrètes à Londres, le premier ministre britannique de l’époque, Harold Wilson, avait voulu « faire peur » aux responsables mauriciens pour les forcer à céder l’archipel convoité, a ajouté M. Jugnauth. Harold Wilson leur avait dit qu’ils pouvaient rentrer à Port-Louis « avec ou sans l’indépendance » et que « la meilleure des solutions pourrait être l’indépendance et le détachement [des Chagos] par le biais d’un accord », a-t-il poursuivi.

« C’est avec en toile de fond cette énorme pression et dans des circonstances équivalant à la contrainte que, moins de cinq heures plus tard, quatre des cinq représentants de Maurice ont cédé le détachement de l’archipel des Chagos », a déclaré M. Jugnauth.

Entre Maurice et l’Angleterre, la vie en suspens des exilés des îles Chagos

Au début des années 1970, alors que la guerre froide s’intensifiait, le Royaume-Uni a établi une base militaire conjointe avec les Etats-Unis sur Diego Garcia, la plus grande et la plus connue des îles Chagos. Depuis, la base – dont le bail court jusqu’en 2036 – a joué un rôle clé dans des opérations militaires américaines. Elle a notamment servi aux campagnes de bombardement américaines en Afghanistan et en Irak. Elle a aussi été utilisée par la CIA comme centre d’interrogation de suspects capturés en Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001.

Revers diplomatique

La session ouverte lundi devant la CIJ est la conséquence d’une résolution adoptée en juin 2017 par l’Assemblée générale de l’ONU. Dans un revers diplomatique infligé à Londres, le texte présenté par Maurice et soutenu par les pays d’Afrique demandait à la CIJ son avis dans ce litige qui dure depuis plus d’un demi-siècle. Les quinze juges de l’organe judiciaire principal des Nations unies doivent entendre les arguments sur « les conséquences légales de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice ».

L’Union africaine et 22 pays, dont le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l’Allemagne et plusieurs pays d’Asie et d’Amérique latine doivent prendre part à la procédure, prévue sur quatre jours. Ensuite, les juges de la CIJ émettront leur « avis consultatif » dans un délai qui peut se compter en mois, voire en années.

Le vote de la résolution sur la saisine de la CIJ, en 2017, était considéré comme un test de la capacité du Royaume-Uni à rallier ses voisins, un an après son référendum de sortie de l’Union européenne. Mais ce vote, par 95 voix contre 15, a surtout été marqué par l’abstention de 65 pays, dont la France, l’Italie et l’Allemagne. Londres, qui s’est à plusieurs reprises engagé à céder l’archipel des Chagos à Maurice lorsqu’il ne sera plus nécessaire à des fins de défense, a annoncé qu’il « défendrait fermement » sa position dans les débats s’ouvrant lundi.

Le Royaume-Uni a toutefois exclu en 2016 le retour des anciens habitants des Chagos et de leurs descendants. De son côté, Port-Louis reconnaît l’existence de la base de Diego Garcia et accepte son fonctionnement à l’avenir, conformément au droit international.