La ministre de la culture Françoise Nyssen à l’Elysée à Paris, le 31 août 2018. / PHILIPPE WOJAZER / REUTERS

Françoise Nyssen est arrivée tout sourire, mardi 4 septembre, pour présider, rue de Valois à Paris, le troisième comité d’orientation du Pass culture. La ministre, que la rumeur donnait depuis plusieurs semaines partante dans le remaniement, était visiblement heureuse d’avoir déjoué les pronostics : « Les choses reprennent et je suis très contente que ma première réunion, sous ce nouveau gouvernement, soit consacrée au Pass culture. C’est très symbolique, car il s’agit d’un service aux jeunes et d’un outil d’accès par excellence à la culture », a-t-elle déclaré sur un ton assuré et enjoué.

Au côté, notamment, d’Eric Garandeau, coresponsable de l’association de préfiguration chargée de l’ingénierie financière et juridique de cette nouvelle application mobile géolocalisée, Françoise Nyssen a détaillé le calendrier de son expérimentation et précisé les conditions de son utilisation. Réunissant les offres culturelles de proximité et crédité de 500 euros pour les jeunes âgés de 18 ans, ce Pass culture, voulu par Emmanuel Macron, sera testé, cet automne, en conditions réelles. Une campagne de communication sera lancée courant septembre auprès des lycées, des universités, des missions locales, des agences Pôle emploi, etc., dans les cinq départements pilotes (Seine-Saint-Denis, Bas-Rhin, Hérault, Finistère, Guyane) pour recruter dix mille jeunes volontaires. Parallèlement, des « référents territoriaux » seront chargés de mobiliser les acteurs culturels pour qu’ils s’inscrivent et proposent des offres sur le Pass.

« Un choix politique »

« L’objectif de cette politique publique est d’ouvrir le champ des possibles des jeunes et d’encourager la pratique artistique », a insisté la ministre. « Il faut éviter que le Pass ne serve qu’à financer des activités qu’ils connaissent déjà et qui sont à but essentiellement lucratif », a-t-elle précisé, en faisant référence aux géants du Web.

Lire l’entretien avec Françoise Nyssen : « Le Pass culture ne sera pas un “gadget” »

Pour y parvenir, le Pass sera « éditorialisé ». Son algorithme « encouragera la découverte », promet-elle, en favorisant « les offres culturelles publiques, portées par des organismes reconnus par l’Etat ou soutenues par les collectivités locales » – opérateurs du ministère, labels, monuments historiques, cinémas art et essai, etc. Pour Eric Garandeau, « il n’y a pas lieu d’exclure les offres numériques, dès lors qu’elles respectent le droit fiscal et d’auteur ». Mais, a indiqué Françoise Nyssen, « les dépenses seront plafonnées par catégories ».

Eric Garandeau : « Il n’y a pas lieu d’exclure les offres numériques, dès lors qu’elles respectent le droit fiscal et d’auteur »

Ainsi, lors de la phase d’expérimentation, « les achats d’offres culturelles en ligne (abonnement à Deezer, Netflix, Canalplay…) seront limités à 200 euros, les biens culturels (livres ou CD) seront limités à 100 euros, en revanche, les cours de pratiques artistiques et les sorties culturelles ne seront pas plafonnées. Les jeunes pourront, s’ils le souhaitent, dépenser leurs 500 euros en billets de théâtre ou leçons de piano ou de danse, par exemple », a précisé la ministre. « Il s’agit d’un choix politique déterminant en faveur de l’ouverture et de la diversité culturelle », insiste-t-elle. Les réunions, organisées depuis décembre 2017 avec des lycéens référents, ont fait apparaître que les futurs utilisateurs rêvent bien davantage d’assister à un concert de rap, de s’abonner à Netflix ou Deezer, ou de partir en voyage plutôt que de se rendre dans un musée ou d’assister à un spectacle d’opéra.

Risque de piratage

En outre, pour éviter Amazon, les livres achetés ne pourront pas être livrés à domicile mais devront être retirés dans une librairie. Pour maintenir le caractère « culturel » du Pass, les parcs d’attractions du type Disneyland en seront exclus, tout comme « les titres à risque tels que les tabloïds » pour les abonnements à la presse. Quant aux jeux vidéo, seuls ceux éligibles au fonds d’aide (FAJV) du Centre national du cinéma (CNC) seront proposés.

Le comité d’orientation – où siègent notamment le metteur en scène Thomas Jolly, le directeur délégué du Festival d’Avignon Paul Rondin, le président de la Grande Halle de La Villette, Didier Fusillier, l’initiateur d’Eloquentia, Stéphane de Freitas, le directeur de l’Association des maires ruraux de France, Cédric Szabo – a semblé plutôt conquis par le projet, mais a pointé la problématique de la mobilité, notamment pour les non citadins, ainsi que le risque de piratage (comment éviter la revente à prix cassé sur le darknet du crédit de 500 euros ?). Quant à la question du financement – assuré à 80 % par le secteur privé –, elle sera abordée lors du prochain comité, avant Noël.

Pour l’heure, la vingtaine de personnes qui composent l’association de préfiguration en charge du Pass culture se concentre sur le lancement de la phase d’expérimentation dont on connaîtra les résultats au printemps 2019. Le Pass s’annonce comme un projet de longue haleine que Françoise Nyssen compte bien mener à son terme pour en faire un marqueur de son passage rue de Valois.