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Le monde du biathlon est en train d’en faire la délicate expérience : on ne se débarrasse pas si facilement de l’influence russe, surtout lorsque l’on est un sport majeur au pays de Vladimir Poutine. Interdite de présenter et de prendre part au vote lors du congrès de la Fédération internationale de biathlon (IBU), la Russie n’a pas pour autant renoncé à peser sur un scrutin décisif pour ce sport, aujourd’hui dominé par le Français Martin Fourcade.

L’IBU s’apprête à vivre une expérience inédite vendredi 7 septembre à Porec, en Croatie : élire un président qui ne soit pas le Norvégien Anders Besseberg, unique président depuis sa création en 1993 et démissionnaire en avril après des perquisitions de la police autrichienne à son domicile et au siège de l’IBU à Salzbourg.

Le Monde avait révélé, dans la foulée, les témoignages accablants recueillis par les enquêteurs de l’Agence mondiale antidopage, détaillant la façon dont la Russie avait corrompu le septuagénaire norvégien et sa secrétaire générale, l’Allemande Nicole Resch, pour favoriser ses intérêts et dissimuler le dopage de certains biathlètes. Anders Besseberg et Nicole Resch contestent toujours les faits qui leur sont reprochés.

L’IBU tente depuis de se remettre en ordre de marche avec une direction provisoire et, surtout, de revenir dans les bonnes grâces du Comité international olympique (CIO), qui a provisoirement interrompu le versement de ses subventions. L’IBU pourra récupérer cette manne précieuse lorsqu’elle aura élu un nouveau président, réformé sa stratégie antidopage et traité les cas de dopage dissimulés sous l’ancienne présidence.

Candidatures inattendues

Le congrès qui s’est ouvert jeudi sera consacré à cette tâche délicate, et à une question qui n’est pas sans lien : faut-il redonner à la Russie son statut de membre de plein exercice, qui lui a été retiré dans la foulée du scandale ?

Les biathlètes russes ne sont pas touchés par cette sanction, mais aucune manche de Coupe du monde ne sera organisée en Russie ces deux prochaines années et le pays roi du biathlon n’accueillera pas les championnats du monde avant, au moins, 2025.

Par ailleurs, les Russes sont interdits de se présenter à l’élection pour un poste au sein de la direction de l’IBU et de voter lors de ce congrès.

En théorie du moins. En pratique, la Russie n’entend pas rester à l’écart d’une élection, fût-elle de biathlon.

Avant l’été, l’IBU a reçu deux candidatures inattendues, pour les postes de président et vice-président. La première est celle d’une ancienne ministre lettonne de la justice, Baiba Broka, à la tête de la fédération locale de biathlon depuis 2016.

Les élections dans les fédérations sportives étant souvent calquées sur les réseaux d’influence diplomatique, la candidate lettonne a été perçue par les observateurs comme étant celle de l’ex-bloc soviétique. Des accusations qu’elle rejette avec force.

La Russe Uliana Kaisheva lors des Jeux olympiques 2018 à Pyeongchang. / FRANCOIS-XAVIER MARIT / AFP

Soupçons

Dans son pays, Baiba Broka a vu sa carrière politique interrompue par des articles de presse sur des relations présumées avec le milieu criminel, accusations qui n’ont jamais débouché sur l’ouverture d’une enquête judiciaire.

Après huit mois à la tête du ministère de la justice en 2014, elle a été poussée à la démission après s’être vue refuser son habilitation de sécurité, sans qu’aucune explication ne soit donnée.

Membre d’un parti de droite nationaliste, eurosceptique et anti-Russe, Baiba Broka est néanmoins très proche du maire de Riga, Nils Usakovs, leader du mouvement politique affilié à Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine.

Baiba Broka n’a rien fait pour lever les soupçons en affirmant cette semaine que l’ouverture de quatre procédures pour dopage visant des biathlètes russes - d’autres devaient suivre - ne devait pas empêcher la réintégration de la Russie au sein de l’IBU.

Passeport biélorusse bien utile

Les soupçons de tentative d’influence de l’élection par Moscou sont renforcés par la candidature au poste de vice-président d’un Biélorusse nommé Viktor Maygurov. Dans la précédente mandature, Viktor Maygurov battait pavillon russe et était vice-président de l’IBU.

Candidat malheureux à la présidence de la fédération russe au printemps, M. Maygurov s’est donc porté candidat à sa propre succession à ce poste clé de l’IBU en utilisant son autre passeport, lui qui avait skié pour la Biélorussie dans les années 1990.

S’il était prêté à M. Maygurov une réelle influence dans la marche de l’IBU sous le mandat d’Anders Besseberg, le Russe n’est pas cité dans le rapport de l’Agence mondiale antidopage sur les pratiques de corruption.

Selon toute vraisemblance, souffle un élu de l’IBU, M. Maygurov sera le vice-président de la candidate lettonne si celle-ci l’emportait. Et permettra ainsi à la Russie de garder la main dans la fédération.

Issue incertaine

L’adversaire de la Lettonne est le Suédois Olle Dahlin, déjà membre du comité directeur de l’IBU ces quatre dernières années. Pas exactement un symbole de renouvellement. Raison pour laquelle l’Allemagne, l’autre poids lourd de ce sport, n’a pas encore annoncé à qui sa voix irait. Les 56 fédérations membres de l’IBU disposent d’une voix chacune.

« Il est très difficile de savoir qui va gagner. C’est vraiment partagé », juge le Français Christophe Vassallo, actuel président de la commission technique de l’IBU. « La France, dit-il, soutiendra le bloc qui semble le plus apte à enlever les boulets qui sont en travers de la route du biathlon, un groupe d’élus dans lesquels on peut avoir confiance. »

Quelle que soit l’issue du scrutin, il faudra, comme le prédisait Martin Fourcade en juin, « du temps pour que la fédération retrouve de la crédibilité auprès des différents acteurs, des athlètes et des institutions internationales ».