Plusieurs joueurs, comme Robert Quinn, des Miami Dolphins, ont profité de la pré-saison pour poursuivre le mouvement enclenché par Colin Kaepernick. / Jasen Vinlove / USA TODAY Sports

Pour éviter les polémiques, dissimulons la question sous le tapis. Alors que la National Football League (NFL), la ligue professionnelle de football américain, entame dans la nuit de jeudi 6 à vendredi 7 septembre la 99e saison de son histoire, la controverse autour de certains joueurs agenouillés lors de l’hymne américain pour protester contre les violences policières, et les meurtres perpétrés par des policiers, dont sont victimes des Noirs, ne désenfle pas.

La situation est telle que plusieurs diffuseurs des rencontres, ESPN et CBS en tête, ont annoncé, au cours de l’été, avoir choisi de ne plus retransmettre le protocole d’avant-match. Cette décision a été vivement critiquée par Donald Trump, le président américain, qui avait déjà dénoncé à plusieurs reprises, ces deux dernières années, l’attitude des joueurs.

A l’aube de la troisième saison de ce que les historiens nommeront peut-être un jour « l’ère de la controverse autour de l’hymne » — c’est à l’été 2016 que Colin Kaepernick, ancien joueur des San Francisco 49ers avait, le premier, refusé d’écouter debout l’hymne national —, le football américain ne parvient pas à se dépêtrer de cette crise.

Alors que les champions en titre, les Philadelphia Eagles, ouvrent jeudi la saison face aux Atlanta Falcons, le statu quo que les propriétaires de la NFL pensaient avoir atteint a volé en éclats, pulvérisé par les joueurs, par une nouvelle offensive du locataire de la Maison blanche et par la nouvelle campagne publicitaire de Nike, qui a Colin Kaepernick comme tête d’affiche.

Consensus gelé

En mai, les propriétaires de la NFL, réunis en congrès à Atlanta, pensaient avoir trouvé une solution. Décidés à ne pas revivre la crise de l’automne 2017, où la croisade de Donald Trump contre les « fils de pute » qui s’agenouillent avait enflammé le débat, obligeant la très tiède NFL à prendre la défense de la liberté d’opinion de ses joueurs, les patrons des trente-deux équipes avaient annoncé autoriser les gestes de boycott pendant la Star Spangled Banner… si et seulement si les protestataires restaient au vestiaire.

Loin de satisfaire les joueurs, dont une minorité avait pris la suite de Colin Kaepernick en s’agenouillant lors des hymnes, cette décision s’est attiré les foudres de la NFLPA (l’association des joueurs NFL), étonnée de ne pas avoir été consultée sur un sujet les concernant. D’autant que les équipes auraient eu libre cours pour sanctionner les éventuels contrevenants.

Résultat, en juillet, les deux parties ont annoncé le gel de la réforme en l’attente d’un accord, pour « permettre la poursuite d’un dialogue constructif ». Mais aucun accord n’a été trouvé avant la reprise de la saison.

Audiences télévisées en baisse

Dans cette affaire, la NFL a tenté de calquer son règlement sur celui de la NBA, la ligue de basket américaine connue pour accompagner les prises de position de ses joueurs. Mais elle a omis de consulter les principaux concernés, là où la NBA avait proposé à ses joueurs de mettre en place un dispositif commun en 2017, aux fins d’éviter des protestations pendant l’hymne.

A la différence de la ligue de basket, considérée comme progressiste depuis les années Obama — voilà deux ans, elle avait déplacé son All-Star Game hors de la Caroline du Nord en raison de l’adoption par cet Etat de lois hostiles aux personnes transsexuelles —, la NFL ne s’est jamais engagée de quelque manière que ce soit.

Le football américain est traditionnellement marqué à droite. Par ailleurs, la ligue craint que les prises de position de joueurs ne heurtent la sensibilité du public et ne nuisent à la bonne marche de ses affaires — elle brasse des millions de dollars. Or, depuis deux ans, les audiences télévisées s’effritent (- 7 % l’an passé), ce que ne manque pas de souligner Donald Trump, qui y voit un lien de cause à effet.

La non-prise en compte de la mesure du mouvement par la Ligue et par son commissaire, Roger Goodell, a suscité les critiques de nombre d’observateurs. Ainsi Tony Dungy, ancien entraîneur reconverti en consultant télévisuel, a estimé que la NFL « pourrait faire un bien meilleur travail en acceptant les revendications des joueurs et en les accompagnant, sans faire de ce sujet une question d’hymne ».

Ce que le réalisateur Spike Lee avait mis en exergue l’an passé en expliquant que « penser que les joueurs NFL protestent contre le drapeau revient à penser que Rosa Parks protestait contre les transports publics ».

Nike attise les braises

La vindicte présidentielle, et ses rafales de tweets, n’a pas cessé ces derniers mois. Engagé dans un chantage au patriotisme qui flatte sa base électorale (« si vous protestez, c’est que vous n’êtes pas de bons Américains »), Donald Trump s’est érigé en défenseur des militaires américains tombés au combat. Et a annulé en juin la traditionnelle visite à la Maison Blanche des champions de l’année, les Philadelphia Eagles, après que plusieurs joueurs eurent exprimé leur intention de ne pas venir.

Parallèlement, le débat sur le bien-fondé de protester en s’agenouillant lors de l’hymne se poursuit dans la société américaine. Deux jours avant le deuxième anniversaire du premier geste de Colin Kaepernick, à la fin du mois d’août, un candidat démocrate au Sénat — pour les élections de mi-mandat — a estimé qu’il n’y avait « rien de plus américain » que ce geste pacifique.

Au début de cette semaine, une imposante virgule est venue attiser les braises. En choisissant de faire de Colin Kaepernick l’une des têtes d’affiche de sa campagne célébrant les trente ans de son slogan « Just do it », Nike, qui est par ailleurs l’équipementier officiel de la NFL, a réenclenché la machine.

Le joueur, sans club depuis plus d’un an et engagé dans un combat judiciaire contre la NFL, qu’il accuse de s’être liguée pour ne pas le réembaucher, est l’un des trois visages (avec le basketteur LeBron James et la tenniswoman Serena Williams) de la campagne « Croyez en quelque chose. Même si cela signifie tout sacrifier ».

Ce choix a fait chuter l’action de la multinationale de l’Oregon en Bourse, a déclenché une nouvelle colère présidentielle et a suscité des réactions de fans outrés ou enthousiastes. Cette campagne de communication, lancée à deux jours de la reprise de la NFL, est loin d’être anodine. Cette année encore, le sport risque de ne pas avoir la part belle.