La manette Xbox adaptative. / Microsoft

Et si les jeux vidéo devenaient plus accessibles ? Microsoft a commercialisé, mardi 4 septembre, un contrôleur adaptatif conçu pour les joueurs en situation de handicap, tranchant avec la mode des claviers et souris ultrapointus visant les pros du pixel.

Ces dernières années, constructeurs de claviers et de souris rivalisaient d’ingéniosité pour convaincre les joueurs les plus compétiteurs, au détriment des autres. « Les consoles, c’est un marché de masse fait pour des humains avec des bras et des jambes, et dès que l’on sort de ce cadre-là, on a un problème », soulignait fin 2017 David Cambarieu, le président de l’association Handigamer, prenant pour exemple des interfaces et des boutons souvent pensés à travers le prisme de joueurs valides.

Aux antipodes du discours élitiste prévalant dans le monde des compétitions électroniques, la nouvelle manette se présente comme un contrôleur modulable adapté aux joueurs en situation de handicap — une première depuis le Hands Free, un dispositif conçu par Nintendo dans les années 1980.

« Je pense que la communauté des gens handicapés est perçue comme relativement petite, donc qu’une grosse compagnie comme Microsoft mette de l’argent dedans, c’est une révolution. A mon avis, ils vont vite s’apercevoir de la taille de cette communauté », se réjouit Ken Jones, fondateur de Warfighter Engaged, l’association de vétérans de l’armée qui a soumis le projet à l’entreprise.

Phil Spencer, président de Xbox, répète depuis plusieurs mois que sa marque vise désormais 2 milliards d’utilisateurs potentiels, et fait de l’inclusivité une priorité. La firme de Redmond n’est toutefois pas seule à montrer de plus en plus d’attention aux personnes en situation de handicap. Des grands éditeurs aux petits indés, la prise en compte des problèmes de daltonisme a notamment connu un progrès fulgurant ces dernières années, au point d’être devenu une option désormais répandue, d’Overwatch à Fortnite.

« Ni insultant, ni condescendant, juste tolérant »

Mais la déconstruction du validisme de l’industrie va plus loin encore : c’est désormais le portrait-robot du joueur moyen, valide, expérimenté et compétiteur par nature qui est de plus en plus souvent mis à bas. Il y a encore quelques années, une telle tendance aurait provoqué une levée de boucliers de la part de certains joueurs, pour qui le plaisir de surmonter le challenge est consubstantiel à un jeu vidéo, et le goût du défi et la dextérité manette en main, la qualité des vrais « gameurs ».

En 2016, le journaliste américain Dean Takahashi était notamment devenu la risée du Web après avoir filmé ses difficultés à franchir le tutorial de CupHead, un jeu du reste particulièrement impitoyable. Une frange élitiste de joueurs y avait alors vu l’incompétence de la presse, sur fond de GamerGate, une polémique opposant un groupe autoconstitué de consommateurs repliés sur leur pratique.

En début d’année, les Canadiens, derrière Celeste, jeu de plate-forme initiatique exigeant, avaient fait le choix d’inclure un mode « assisté », permettant de régler à sa guise la vitesse de l’action. Et permettre à ceux qui ne se reconnaissent pas dans le goût du challenge de pouvoir malgré tout profiter de certaines expériences vidéoludiques fortes. « Le mode assisté de Celeste est une manière tellement intelligente de rendre un jeu difficile accessible à un public plus large, félicitait le concepteur américain Matt Rowlabo à sa sortie. Il est également parfaitement cadré : ni insultant, ni condescendant, juste tolérant. »

« Celeste », jeu vidéo extrêmement exigeant, est cité comme un modèle en matière d’options permettant de rendre l’aventure plus accessible. / Matt Makes Games

Il a depuis fait des émules. Les développeurs de Furi, production française de 2016 plébiscitée pour son atmosphère néon mais redoutée pour sa difficulté, ont annoncé fin août l’ajout d’un « safe mode », une option permettant de traverser l’aventure tranquillement sans risque d’échec. Objectif : mieux se concentrer sur l’histoire, l’ambiance et la direction artistique.

Des jeux qui s’y prêtent plus

Pour Audrey Leprince, cofondatrice du studio The Game Bakers, offrir ce mode « safe » à Furi, c’est faire un pas pour rendre le jeu vidéo moins élitiste, même si elle refuse de parler d’acte militant :

« Je suis pour l’inclusivité de tout type d’audience dans le jeu vidéo. On avait bien conscience qu’il fallait nous aussi qu’on montre l’exemple, en rendant notre jeu, qui est “hardcore”, plus accessible. On participe à cet effort. Mais ce n’est pas non plus un positionnement politique. Il y a des jeux pour lesquels ce ne serait pas pertinent, s’ils n’ont pas d’histoire, pas de musique, pas d’expérience à proposer en dehors de leur gameplay. Un safe mode n’aurait pas de sens. »

En toile de fond, l’opposition entre jeux vidéo narratifs et compétitifs — le plaisir des premiers réside dans l’immersion dans un récit et un univers, le second dans l’accomplissement de prouesses. Si Furi, Celeste ou encore Cuphead gagnent à être rendus plus accessibles, c’est que, par leurs qualités esthétiques autant que par leur difficulté, ils peuvent jouer sur les deux tableaux.

« Furi », jeu d’action à l’atmosphère eighties très recherchée, jouit désormais d’un mode dans lequel le joueur peut vivre l’histoire sans se soucier d’être performant. / The Game Bakers

A ces initiatives s’ajoutent celle d’Ubisoft, avec le mode touriste démilitarisé de son jeu d’aventure en Egypte antique, Assassin’s Creed Origins, et de Super Mario Odyssey, et son guide interactif permettant au joueur d’être perpétuellement guidé, et rattrapé avec une pénalité moindre en cas de chute.

Ce genre d’initiatives n’a pas toujours été bien vu du côté des consommateurs de jeux plus adultes. A la fin des années 2000, ces productions jugées trop grand public ont hérité auprès des joueurs expérimentés de l’étiquette péjorative de jeux « casual » (pour les nuls). En réaction, des titres extrêmement exigeants comme Super Meat Boy et Demon’s Souls ont ouvert une nouvelle ère de game design sadique.

Concilier deux extrêmes

Trouver le juste milieu entre coup de main et valorisation, c’est désormais le défi des développeurs. D’ailleurs, Audrey Leprince insiste, le safe mode de Furi est un « couteau suisse » à double emploi. D’un côté, il propose une solution aux joueurs qui seraient intéressés par l’expérience narrative mais n’auraient pas le temps ou l’envie de retenter en boucle les combats trop difficiles. De l’autre, il offre des conditions d’entraînement optimisées pour les speedrunners, ces athlètes de la manette dont l’unique objectif est de terminer les jeux dans le meilleur temps, en expérimentant pour cela tous les raccourcis ou stratagèmes possibles.

En 2016, la difficulté extrême de « CupHead », un jeu de plate-forme à l’esthétique renversante, a suscité de nombreux débats. / StudioMDHR

Derrière ces évolutions, l’engagement sociétal se mêle au pragmatisme commercial. Microsoft est largué dans la bataille commerciale sur cette génération de consoles et n’a pas de sortie médiatique majeure à faire valoir sur cette fin d’année. De son côté, Audrey Leprince ne s’en cache pas : l’ajout d’un tel mode ouvre également des perspectives pour un jeu qui entre désormais dans sa deuxième vie. « On le fait deux ans plus tard parce qu’on pense que c’est une bonne manière d’élargir le public », estime-t-elle, alors que la difficulté initiale du jeu limite le spectre de ses acquéreurs potentiels.

Ces initiatives très médiatiques restent par ailleurs minoritaires dans l’industrie. Olivier Pénot, producteur console chez l’éditeur PlugIn Digital, constate qu’un fossé sépare encore les productions « gameur » de celles accessibles à tous :

« On a très légèrement facilité les contrôles dans “The Next Penelope” sur Switch. Mais globalement j’ai l’impression que soit tu fais un jeu “hardcore gamer” (“Furi” ou “Cuphead”) soit du narratif walking simulator [terme désignant des jeux contemplatifs, sans combats]. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait de vrai marché de joueurs entre les deux. Alors même que j’adorerais un mode balade dans “Cuphead” ».