Le compte @sweden aura posté près de 200 000 tweets en sept ans. / NICOLAS SIX / QUENTIN HUGON / LE MONDE

C’est une expérience sociale à l’échelle d’un pays qui s’achèvera à la fin du mois : celle du compte Twitter @sweden, lancé en 2011 par l’Institut suédois, organisme gouvernemental chargé de la promotion de l’image de la Suède. A partir du 30 septembre, le compte, s’il restera accessible, ne sera plus actif.

Depuis le 10 décembre 2011, la gestion ce compte Twitter est confiée, chaque semaine, à un Suédois (ou à un étranger résident en Suède) différent.

Chacun est libre de s’en servir comme il l’entend, pour dire ce qu’il veut, à qui il veut. Sans censure, ni contrôle — tant que les propos tenus ne tombent pas sous le coup de la loi, ne font pas de publicité pour une marque ou ne représentent pas une menace pour la sécurité.

Au total, ce sont 356 femmes et hommes qui se seront ainsi improvisés « community managers » officiels de la Suède. Pour voir sa candidature retenue, trois obligations : être actif sur Twitter, être Suédois ou résider dans le pays, et… ne pas proposer sa candidature. Les noms des 356 Suédois choisis ont en effet été soumis par des pairs, librement, via un simple formulaire sur le site du projet, où il fallait préciser le « lien » du candidat avec la Suède et la raison pour laquelle il intéresserait quelqu’un résidant en dehors du pays. L’idée étant de faire rayonner l’image du pays à travers le monde.

150 000 abonnés

200 000 tweets plus tard, la mission est-elle accomplie ? 150 000 abonnés suivent en tout cas aujourd’hui le compte aux commandes duquel se sont succédé blogueurs (Jack Werner, le premier d’entre eux), journalistes, comiques, entrepreneurs, artistes, jeunes, vieux et, surtout, beaucoup d’anonymes — à chaque fois propulsés par l’Institut suédois « seuls administrateurs du compte Twitter le plus démocratique du monde ».

Le site curatorsofsweden.com consacre un court portrait à chacun d’entre eux, et même après le 30 septembre, il sera toujours possible de consulter les archives du compte.

Le but de la manœuvre ? Il s’agissait, selon le site officiel de l’initiative, de « prouver, en pratique, que la Suède est un pays ouvert et démocratique ». Mais surtout, de faire la promotion du pays, en accord avec la mission de l’Institut suédois. L’entreprise VisitSweden (« Visitez la Suède »), partenaire de l’opération, se félicitait déjà en 2013 que les tweets de ces « vrais » citoyens soient plus relayés que des tweets officiels. Et qu’ils avaient déjà, à l’époque, fait économiser 40 millions de dollars de promotion au gouvernement suédois.

Provocant voire choquant

Il est vrai que @sweden aura fait entendre une voix bien éloignée des canons de la communication institutionnelle. Tour à tour amusant ou barbant, provocant voire choquant, @sweden aura plusieurs fois fait l’actualité.

A l’image de Sonja qui, en juin 2012, décontenance en notant « qu’avant la deuxième guerre mondiale, Hitler était un des plus beaux noms dans le monde ». Avant de confesser qu’en regardant ses enfants, parfois elle se souvient « de l’époque où ils avaient [son] vagin autour du cou ». Mais rien n’avait préparé les réseaux sociaux à cette réflexion sur l’antisémitisme, de la part de cette jeune femme de la Suède rurale : « C’est quoi l’histoire avec les juifs ? On ne voit même pas qu’ils sont juifs, à moins de regarder leur pénis, et encore. »

Comme Sonja, Sara provoquera aussi des remous, quand elle résumera en 2017 l’esprit suédois en trois points : « Nous ne croyons pas en Dieu, nous préférons l’Etat à notre famille, nous mettons de la confiture sur notre viande », trois assertions qui, chacune à leur façon, ne manqueront pas de faire polémique. L’Institut suédois redira pourtant, à chaque fois, sa confiance dans son expérience et sa volonté de n’exercer aucune censure.

Le compte @sweden, sous la plume d’un certain Max, est même allé chercher querelle au président Donald Trump. « Hey Don, c’est la Suède qui te parle ! C’est gentil de t’inquiéter, vraiment, mais ne t’emballe pas : tout va très bien ! ». Le message, qui répondait à un discours alarmiste de Trump sur la Suède et les migrants, a été retweeté plus de 400 fois. Cette semaine-là, le nombre de followers de @sweden augmentera de 20 %.

Fin prématurée

L’expérience a pourtant bien failli s’arrêter dès 2016, quand les insultes sexistes et racistes à l’encontre du compte @sweden commencent à se multiplier. Henrik Selin, alors responsable du dialogue interculturel au sein de l’Institut suédois, avait laissé entendre que si la mise en place d’un « code de conduite » sur son site ne suffisait pas à faire taire les insultes et les menaces, l’expérience pourrait connaître une fin prématurée.

« On va essayer de faire changer les choses mais si ça ne fonctionne pas, et si le compte continue à être envahi de message de ce genre, on commencera à réfléchir à l’intérêt de continuer l’expérience. »

@sweden aura pourtant tenu deux ans de plus. Et s’il s’arrête aujourd’hui, c’est, d’après Anna Rudels, responsable du département numérique et communication de l’Institut suédois, tout simplement parce que « tous les projets ont une fin ».

« Après quasiment sept ans, il est temps pour nous d’avancer. Nous allons développer de nouveaux formats, qui vont nous permettre de toucher encore plus de gens, dans davantage de pays encore. »

Au début du mois, c’est le Youtubeur SethEverman qui a offert à @sweden ce qui sera sans doute son dernier coup d’éclat. Pendant une semaine, la popularité du vidéaste et musicien au 1,1 million d’abonnés aura permis au compte Twitter officiel de la Suède de toucher un public plus large que jamais.

Plus sage, l’actuel maître des lieux, Erik, se sert de ses sept jours de notoriété pour raconter sa vie de traducteur, et comparer des dictionnaires aux propriétés amusantes. Ils seront encore trois Suédois à se succéder aux commandes de @sweden, avant que la voix du compte ne s’éteigne définitivement, le 30 septembre.

Ceux que l’exercice fascine pourront alors se tourner vers @ireland : depuis 2012, la République d’Irlande mène en effet une expérience similaire.