Le premier ministre indien, Narendra Modi (au centre) avec le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo (à gauche) et le secrétaire d’Etat à la défense James Mattis, à New Delhi, le 6 septembre. / HANDOUT / REUTERS

Washington souffle le froid avec Islamabad, et le chaud avec New Delhi. Le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, était en visite dans le sous-continent indien, mercredi 5 et jeudi 6 septembre 2018. Il a tenté de dissiper les tensions avec le Pakistan, et a renforcé le partenariat avec New Delhi en Asie du Sud et au-delà, dans la région indopacifique.

Dans l’avion qui le menait au Pakistan, Mike Pompeo a dévoilé son intention de « réinitialiser les relations » avec Islamabad. Si les tensions ne sont pas nouvelles entre les deux pays, elles se sont toutefois aggravées ces derniers mois. « Le Pakistan ne nous a rien donné d’autre que des mensonges et des supercheries », a déclaré, en janvier, le président américain, Donald Trump. Un discours de fermeté qui a sensiblement rapproché les Etats-Unis de la position indienne.

« Je suis confiant sur le fait que les fondations que nous avons posées aujourd’hui permettront d’obtenir des résultats positifs », Imran Khan, premier ministre pakistanais

De son côté, le nouveau premier ministre pakistanais, Imran Khan, avait été très critique vis-à-vis de Washington lorsqu’il était dans l’opposition. Il avait salué la « guerre sainte » des talibans contre les occupants américains en Afghanistan. C’est la première fois qu’il rencontrait, mercredi, le chef de la diplomatie américaine depuis son arrivée au pouvoir, en août. « Nous avons parlé de leur nouveau gouvernement, […] du travail que nous devons fournir pour aboutir à une résolution pacifique [du conflit] en Afghanistan », a expliqué M. Pompeo avant d’ajouter, avec prudence : « Je suis confiant sur le fait que les fondations que nous avons posées aujourd’hui permettront d’obtenir des résultats positifs. » M. Khan, ancien champion de cricket, a tout juste déclaré qu’en tant qu’« ancien sportif », il était « toujours optimiste ».

Suspension d’une aide à Islamabad

Quelques jours avant la visite de M. Pompeo en Asie du Sud, le Pentagone a annoncé, le 1er septembre, avoir suspendu une aide de 300 millions de dollars à Islamabad. Washington accuse en effet le Pakistan de soutenir, via les services de renseignement de sa puissante armée, les insurgés talibans à qui il fournirait des refuges dans ses régions frontalières avec l’Afghanistan. Des accusations que nie Islamabad. « Nous avons pris la décision de réduire notre assistance et d’imposer des contraintes (…) au Pakistan pour les persuader de suivre ce chemin et d’utiliser leur influence sur les talibans », a expliqué, la semaine dernière, Randall G. Schriver, un haut responsable du département de la défense chargé de l’Asie-Pacifique. La suspension de l’aide financière américaine risque de fragiliser encore un peu plus le Pakistan. Le pays est déjà lourdement endetté, en partie à cause de la construction d’un corridor économique le reliant à la Chine d’un coût de 55 milliards de dollars, en partie financé par Pékin. Le Pakistan pourrait obtenir une aide de son voisin chinois, et ainsi moins dépendre des Etats-Unis.

Avec l’Inde, les Etats-Unis ont au moins en commun d’avoir la Chine comme rivale. Depuis que Washington a déclenché les hostilités commerciales avec Pékin, il cherche à renforcer ses relations avec New Delhi. Pour le premier « dialogue ministériel 2+2 » désormais organisé chaque année entre les représentants des affaires étrangères et de la défense des deux pays, le secrétaire américain à la défense, Jim Mattis, avait fait le déplacement, jeudi, dans la capitale indienne. Les deux pays ont annoncé qu’ils feraient l’an prochain des exercices militaires conjoints sur terre, mer et air. Ils ont également signé l’accord Comcasa (Communications Comptability and Security Agreement), susceptible d’ouvrir la voie à des ventes à l’Inde de matériel militaire américain sensible.

Echanges de données militaires

Cet accord permettra aux deux pays d’échanger rapidement et en toute sécurité des données militaires sensibles, notamment sur la position des troupes chinoises le long de la frontière avec l’Inde et le Bhoutan. Un diplomate indien a confié au quotidien économique The Economic Times que l’armée indienne avait eu des difficultés à suivre les mouvements des troupes chinoises lors de la crise du Doklam, à l’été 2017. Les armées des deux pays s’étaient confrontées sur ce haut plateau, disputé par le Bhoutan et la Chine, pendant plusieurs mois.

L’Inde, qui importe 20 % de son pétrole d’Iran, a également évoqué la question des sanctions américaines contre Téhéran. « Nous envisagerons des dérogations, le cas échéant, mais nous nous attendons à ce que les achats de pétrole iranien prennent fin partout dans le monde […] Nous allons donc travailler avec les Indiens », a déclaré M. Pompeo. Autre point de discorde : l’intention de New Delhi d’acheter le système russe de missiles antiaériens S-400, qui violerait les sanctions imposées par le Congrès américain sur la Russie au début de l’année. La déclaration finale publiée à l’issue du « dialogue 2+2 » n’en fait pas mention.

« Sur les deux sujets de préoccupation de l’Inde – le Pakistan et la Chine –, Delhi n’a aucune raison de se plaindre de la politique de Trump », conclut l’analyste C. Raja Mohan, dans le quotidien The Indian Express.