Barack Obama le 7 septembre dans l’Illinois. / JOHN GRESS / REUTERS

Les funérailles de John McCain, le 1er septembre, lui avaient déjà donné l’occasion de multiplier les allusions transparentes, mais l’ancien président démocrate Barack Obama est passé clairement à l’offensive contre Donald Trump, vendredi, à deux mois d’élections de mi-mandat aux allures de référendum sur l’actuel locataire de la Maison Blanche. Le camp démocrate avait déjà fait la preuve de sa vigueur, manifestée par une floraison de candidatures, notamment féminines, et par de nombreux succès lors d’élections partielles. L’ancien président lui a apporté un socle : une lecture aussi impitoyable que charpentée du trumpisme, doublé d’un appel à la mobilisation.

À circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Pour Barack Obama, la mise à l’épreuve des institutions du pays justifie qu’un ancien président fasse entendre sa voix. « Un simple coup d’œil aux dernières informations devrait vous dire que ce moment est vraiment différent », a assuré l’ancien président à la fin d’une semaine marquée par la parution des bonnes feuilles d’un livre incendiaire de Bob Woodward sur la Maison Blanche, ainsi que par la publication par le New York Times d’une tribune anonyme tout aussi alarmiste rédigée par une personne se présentant comme membre de l’administration au pouvoir.

« Les enjeux sont vraiment plus élevés. Les conséquences plus graves si nous choisissons de rester sur la touche », a-t-il dit, « Cela n’a pas commencé avec Donald Trump. Il est un symptôme, pas la cause. Il ne fait que capitaliser les ressentiments que des hommes politiques attisent depuis des années. Une peur et une colère qui sont enracinées dans notre passé, mais aussi liées aux énormes bouleversements en cours. »

Droit de vote attaqué

« Au cours des dernières décennies, la politique de division, de ressentiment et de paranoïa a malheureusement trouvé sa place au sein du Parti républicain. Ce Congrès a défendu des lois sur le financement des campagnes électorales donnant aux milliardaires une influence hors normes sur notre politique », a déploré l’ancien président. « Il a systématiquement attaqué le droit de vote pour rendre plus difficile le vote des jeunes, des minorités et des pauvres. Il a distribué les réductions d’impôts sans tenir compte des déficits. Coupé les programmes sociaux autant que possible (…) Adopté des théories conspirationnistes sauvages, comme celles qui entourent [l’attaque de la représentation diplomatique américaine de] Benghazi, ou mon certificat de naissance [longtemps présenté comme faux par Donald Trump]. Rejeté la science. Rejeté le changement climatique (…) Ce n’est pas un programme conservateur. Ce n’est sûrement pas normal. C’est un programme radical », a-t-il affirmé.

« Qu’est-il arrivé au Parti républicain ? », a fait mine de s’interroger Barack Obama, listant ses revirements, sur la question du déficit budgétaire ou les relations avec la Russie, dénonçant ceux qui assurent « Oui, nous savons que tout ceci est un peu fou » (…) mais qui « semblent totalement privés de colonne vertébrale pour sauvegarder les institutions qui font fonctionner notre démocratie ».

« Soit dit en passant », a-t-il poursuivi dans une allusion à la tribune anonyme qui assure que des conseillers brident l’action de Donald Trump, « l’affirmation que tout ira bien parce qu’il y a des gens à l’intérieur de la Maison Blanche qui ne suivent pas secrètement les ordres du président, ce n’est pas un frein - je suis sérieux ici - ce n’est pas comme ça notre démocratie est censée fonctionner ».

« Ces personnes ne sont pas élues. Ils ne sont pas responsables. Ils ne nous rendent pas service en faisant activement la promotion de 90 % des choses folles qui sortent de la Maison-Blanche et en disant : Ne vous inquiétez pas, nous empêchons les 10 % restants. Ce n’est pas comme ça que les choses sont censées fonctionner. Ce n’est pas normal », a-t-il ajouté.

« Résister à la discrimination »

L’ancien président s’est livré ensuite à un examen sans concessions de l’action de son successeur. « Lorsque les chiffres du travail sont publiés, les chiffres mensuels des emplois, soudain, les républicains disent que c’est un miracle. Je me permets de leur rappeler que ces chiffres d’emploi sont en fait les mêmes qu’en 2015 et 2016 », a-t-il affirmé. « Nous sommes censés résister à la discrimination. Et il est évident que nous devons nous dresser clairement et sans équivoque contre des sympathisants nazis. Comment cela peut-il être difficile, de dire que les nazis sont mauvais », a-t-il poursuivi, dans une allusion aux propos ambigus de Donald Trump après les affrontements sanglants de Charlottesville qui avaient opposé en août 2017 des suprémacistes blancs à des antifascistes.

« On ne devrait pas avoir à rappeler » qu’un président ne doit pas faire « pression sur le ministre de la justice ou le FBI pour qu’il instrumentalise le système pénal pour punir nos opposants politiques », ou qu’il ne peut pas « demander explicitement au ministre de la justice de protéger les membres de son propre parti contre les poursuites parce qu’il y a des élections », a-t-il ajouté en référence à des déclarations et à des messages publiés sur son compte Twitter par Donald Trump. « On ne devrait pas avoir à dire qu’on ne menace pas la liberté de la presse parce qu’elle publie, ou diffuse, des histoires que l’on n’aime pas. Je me suis plaint beaucoup de Fox News, mais vous ne m’avez jamais entendu menacer de la fermer ou l’appeler l’ennemi du peuple ».

Pas de radicalisation

Fidèle à la ligne modérée suivie tout au long de sa carrière, Barack Obama a rejeté comme antidote une radicalisation du Parti démocrate. « Il y a des gens bien intentionnés qui se passionnent pour la justice sociale, qui pensent que les choses se sont tellement dégradées (…) que nous devons combattre le feu avec le feu, que nous devons faire les mêmes choses que les républicains, adopter leurs tactiques (…) Je ne suis pas d’accord avec ça », a ajouté l’ancien président, qui a lancé un vibrant appel à l’engagement.

« En fin de compte, la menace pour notre démocratie ne vient pas seulement de Donald Trump, ni des républicains du Congrès, ni des frères Koch [des milliardaires qui militent pour la dérégulation] et de leurs lobbyistes, ni de trop de compromis de la part des démocrates, ni d’un piratage russe. La plus grande menace pour notre démocratie est l’indifférence. La plus grande menace pour notre démocratie est le cynisme », a-t-il affirmé. « Si vous pensez que les élections n’ont pas d’importance, j’espère que les deux années écoulées ont modifié votre perception », a-t-il insisté à l’attention des démocrates abstentionnistes en 2016. « Vous devez faire davantage que retweeter des hashtags, vous devez voter », a-t-il assuré.

En déplacement électoral dans le Dakota du Nord, Donald Trump n’a guère tardé pour répliquer à son contempteur, après avoir estimé que son ministre de la justice devait, au nom de la « sécurité nationale », « enquêter pour savoir qui est l’auteur » de la tribune du New York Times contre lequel il a évoqué d’éventuelles poursuites. Le président a assuré que le discours de Barack Obama l’avait « endormi ».