Namiwata a 36 ans. Allongée au troisième étage de la maternité de l’hôpital Delafontaine, au centre hospitalier de Saint-Denis, elle tient dans ses bras son fils Hamza, qui vient de fêter son premier mois. Le bébé est né le 6 août dernier, trois jours après l’arrivée de sa mère en France.

Partie enceinte du Maroc, Namiwata a traversé la Méditerranée puis l’Espagne, espérant trouver en Europe « de meilleures conditions pour accoucher », explique-t-elle. L’accouchement s’est bien passé. Mais un mois après la naissance d’Hamza, la mère et son fils n’ont toujours pas quitté la maternité : sans solutions pour se loger, ils se retrouveraient aussitôt à la rue. « On appelle le 115 tous les jours, toute la journée, explique Namiwata. Sans réponse. »

Selon une enquête interne réalisée en 2017 par la maternité Delafontaine, 94 nuitées sur une période choisie de six semaines ont ainsi été consacrées à l’accueil de femmes sans-abri et de leur nourrisson – obligeant l’hôpital à détourner certains accouchements vers d’autres centres hospitaliers par manque de place. Sur le plan légal, l’équipe médicale a le droit de demander à ces patientes de quitter l’établissement trois jours après leur accouchement. « Mais en tant que médecin, je ne le ferai jamais », insiste le chef du service de gynécologie-obstétrique de la maternité, Stéphane Bounan.

Places disponibles pour femmes précaires : zéro

La situation s’est pourtant produite tout récemment dans le département. Dans un communiqué publié le 30 août, Interlogement 93, l’association responsable des appels au 115 et de la gestion de l’hébergement d’urgence en Seine-Saint-Denis, a lancé un cri d’alarme sur le phénomène des « bébés sans-abri ». L’association explique que « deux femmes » ont été contraintes le 29 août « de quitter les maternités où elles avaient accouché pour se retrouver à la rue avec leurs nouveau-nés, faute de solution d’hébergement, et ce malgré les nombreuses recherches effectuées en amont par le numéro d’urgence 115 ».

Chaque jour, des jeunes mères et des femmes enceintes appellent le 115 dans l’espoir de trouver un logement d’urgence. Ce vendredi 7 septembre, devant les cinq opérateurs d’Interlogement 93 chargés de recevoir les appels, un tableau recense le nombre de places disponibles pour les femmes en situation de précarité, enceintes ou victimes de violences conjugales. En face de chaque ligne, le chiffre « zéro » est écrit en rouge.

Pour la seule journée de vendredi, neuf mères hébergées dans une maternité étaient, comme Namiwata, dans l’attente d’une réponse. Dix-neuf autres femmes, sans-abri et enceintes, demandaient le soutien d’Interlogement 93 pour échapper à la rue. « Une journée dans la moyenne », résume Bénédicte Souben, responsable de l’animation du réseau d’association.

L’épisode des deux mères à la rue dénoncé par le communiqué de l’association est devenu le symbole de la saturation de l’ensemble du dispositif d’accompagnement des mères sans-abri. Les 109 places prévues dans les centres d’hébergement de Seine-Saint-Denis sont constamment occupées, ainsi que toutes les chambres d’hôtels disponibles : le fait que les femmes sortant de maternité soient prioritaires ne suffit plus à leur garantir un lit.

Solutions insuffisantes et inadaptées

Le diagnostic n’est pourtant pas nouveau. Plusieurs acteurs de l’hébergement d’urgence en Seine-Saint-Denis s’inquiétaient déjà, dans un livre blanc publié en 2012, du phénomène des « bébés sans-abri », dénonçant des solutions « insuffisantes en quantité, et inadaptées tant pour les mères que pour les enfants ».

Six ans plus tard, les dispositifs d’accueil et leur coordination se sont améliorés, estime Interlogement 93. Ils seraient cependant encore inadaptés à ce département particulièrement concerné par les grossesses précaires. Le taux de mortalité infantile de la Seine-Saint-Denis est l’un des plus élevés de France – 4,43 décès pour 1 000 personnes en 2016 selon l’Insee, pour une moyenne nationale de 3,7.

En 2014, 197 femmes sans-abri, enceintes de plus de trois mois ou en sortie de maternité, avaient été signalées aux associations. En 2017, le chiffre a été multiplié par trois pour atteindre 653. Cette hausse est en partie due aux « meilleures méthodes de remontées d’alerte », explique Bénédicte Souben, mais elle illustre également le nombre croissant de jeunes mères et de femmes enceintes dans les appels reçus au 115 depuis une dizaine d’années.