Les salariés de la société Hennessy ont visité leur futur lieu de travail grâce à un équipement de réalité virtuelle. / Julia Zimmerlich

A quoi ressemble une usine robotisée d’embouteillage de cognac en réalité virtuelle ? A une vraie usine d’embouteillage de cognac. Un casque sur la tête, on observe les bouteilles qui défilent sur des tapis à cadence réelle. Elles sont remplies de liquide, puis attrapées par six bras articulés avant d’être emballées dans des cartons, récupérées par des chariots électriques. Tout est automatisé. La duplication est bluffante de réalité.

Ce bijou de technologie s’appelle un « jumeau numérique » (digital twin). Il permet de dupliquer une usine à l’identique en situation immersive. La technique existe depuis quelques années, mais c’est aujourd’hui que l’utilisation de ce type d’outils s’accélère et gagne divers secteurs industriels. Le jumeau de l’usine Pont-Neuf d’Hennessy a été développé par Iteca, une start-up d’Angoulême, spécialiste de « l’industrie 4.0 ». Un terme qui englobe toutes les nouvelles technologies (modélisation 3D, réalité virtuelle, intelligence artificielle…) appliquées à la production industrielle.

Le géant mondial du cognac a inauguré en octobre 2017 sa nouvelle usine high-tech d’embouteillage. Le fabricant, qui produit la moitié des bouteilles de cognac vendues dans le monde, s’est offert un bâtiment ultramoderne de 26 000 m2, planté au milieu des vignes, à 7 km de son site historique de production.

Séduire les jeunes générations

Ce nouvel ensemble, les salariés l’ont d’abord visité en réalité virtuelle avant de le connaître véritablement. « Un des enjeux pour nous est de permettre aux équipes de production de se familiariser le plus tôt possible avec leur nouvel environnement de travail », dit Marc Sorin, directeur des opérations d’Hennessy. Un moyen aussi pour le géant d’afficher sa modernité, et de séduire les jeunes générations qui rechignent à venir s’installer à Cognac, dans la Charente. La réalité virtuelle leur a également servi à former les salariés : en l’occurrence, les gestionnaires de flux, qui supervisent des stocks importants et très mouvants. Chez Hennessy, la zone de stockage s’étend sur 6 000 m2. De quoi entreposer 8 000 palettes en tout.

Une image de l’usine virtuelle d’Hennessy.

Dans certaines usines, le « jumeau numérique » est poussé plus loin et peut suivre la cadence de production en temps réel, grâce à une batterie de capteurs sur les machines. « Cela permet d’optimiser la production, d’anticiper les opérations de maintenance, de tester un geste technique ou une modification logicielle et donc de réduire le risque d’interruption de la production », explique Yaël Assouline, cofondatrice d’Iteca.

La réalité virtuelle trouve de nombreuses autres applications dans le secteur industriel. Iteca a mis au point une plate-forme, SmartUpp, assemblant plusieurs technologies innovantes. « Avant une intervention de maintenance, par exemple, le technicien peut chausser le casque de réalité virtuelle et se former aux gestes techniques, poursuit Yaël Assouline. Pendant l’opération, il est assisté par une solution notamment utilisée dans le secteur de l’aéronautique qui mixe intelligence artificielle et visualisation 3D pour l’aide à la décision et à la maintenance. Ensuite, en réalité augmentée, il voit dans les lunettes une illustration visuelle de son cas de panne, tout en recevant des instructions qui le guident pas à pas. »

Freins importants

Pour l’heure, la plupart des industriels en sont encore à la phase de test, en particulier sur le volet formation. « La VR permet de limiter les coûts de formation réelle pour les métiers les plus techniques, mais aussi les risques pour les apprenants dans des secteurs comme le nucléaire ou l’industrie pharmaceutique », dit Clément Merville, fondateur de Manzalab. Cet éditeur de contenus a mis au point un projet pilote pour EDF sur la réalisation d’une opération de maintenance d’une centrale nucléaire. « Au lieu de dupliquer physiquement une salle de contrôle, comme c’est le cas aujourd’hui, les salariés pourraient suivre une partie de leur formation en VR, dit Clément Merville. Nous sommes aussi capables de réunir plusieurs personnes situées dans différents lieux dans un même espace virtuel. Pendant les réunions, les collaborateurs peuvent avoir une maquette 3D de la centrale sous les yeux et en fonction des besoins, téléporter tout le monde dans la zone qui pose problème. »

Reste que les freins au déploiement de ces solutions en réalités virtuelles restent importants. Les coûts du matériel et le développement des contenus sont encore très élevés. Et même si le dernier modèle de casque Vive Pro améliore l’expérience utilisateur, la fatigue cognitive se fait vite sentir. Les premières études sur le sujet montrent que le temps d’expérience idéal se situe autour de trente minutes.

Yaël Assouline, cofondatrice d’Iteca, interviendra lors du Festival de l’innovation Novaq.

Les 13 et 14 septembre, la région Nouvelle-Aquitaine, en partenariat avec “Le Monde”, organise deux jours de débats, conférences, pitchs et ateliers au H14, à Bordeaux, autour de l’innovation.

Scientifiques, experts, entrepreneurs échangeront autour de trois grands thèmes : le cerveau, l’espace et l’océan. Fil rouge de cette édition : l’innovation au service de l’humain.

Programme et inscriptions ici.