Naomi Osaka, lors de sa demi-finale contre Madison Keys, le 6 septembre, sur le court Arthur-Ashe. / Geoff Burke / USA TODAY Sports

La première fois qu’il a croisé sa future élève, Sascha Bajin s’est plutôt dit : tout sauf elle. C’était lors d’un entraînement à Roland-Garros avec Caroline Wozniacki, la joueuse qu’il entraînait à l’époque. « J’ai pensé : encore une diva… car elle parlait à peine. Elle avait le regard fuyant, la tête basse. Je culpabilise encore de l’avoir mal jugée quand je l’ai rencontrée », racontait, mercredi 5 septembre, l’Allemand, qui l’entraîne depuis bientôt un an.

Naomi Osaka n’est, en réalité, ni arrogante ni capricieuse. C’est même tout le contraire. La jeune femme de 20 ans est timide, douce, bourrée d’autodérision et toujours polie. A priori, des traits de caractère étonnants chez une championne de tennis. Mais la Japonaise pourrait bien devenir l’une des terreurs du circuit féminin, en mal de nouvelles patronnes. En attendant, elle a fait un grand pas dans cette direction en se hissant en finale de l’US Open face à son idole Serena Williams.

Parcours éclair cette quinzaine

Depuis le début de la quinzaine new-yorkaise, la 19e joueuse mondiale est celle qui fait la plus forte impression, tableaux dames et messieurs confondus. Elle n’a perdu que 28 jeux, et hormis un troisième tour poussif contre la Biélorusse Aliaksandra Sasnovitch à laquelle elle a concédé un set, elle a expédié ses cinq autres matchs (6-3, 6-2 ; 6-2, 6-0 ; 6-0, 6-0 ; 6-1, 6-1 ; 6-2, 6-4), la moitié en moins d’une heure. Des victoires expéditives dignes des Graf et Seles au début des années 1990. Après sa qualification pour les quarts, Osaka a fondu en larmes, elle qui ne comptait jusqu’à cette semaine qu’un huitième de finale en Grand Chelem, à Melbourne en janvier.

« Si je pouvais croire en moi comme les autres croient en moi, ce serait pas mal, mais j’y travaille », dit la jeune femme, première joueuse japonaise de l’ère Open à se hisser en finale d’un Grand Chelem. Quand on lui fit remarquer qu’au vu de son parcours à Flushing Meadows, le Japon n’était pas loin de succomber à une « osakamania », sa réponse a encore une fois été désarmante : « J’en suis très heureuse, mais je crois que c’est à cause de Kei », tout en esquissant un geste avec ses mains pour montrer que son compatriote, Kei Nishikori battu en demi-finales par Novak Djokovic, pourtant plus petit sous la toise (1,78 m contre 1,80 m), fait figure de géant à côté d’elle.

Elle a choisi de représenter le pays de sa mère, mais Naomi Osaka – née à… Osaka, à une heure de Tokyo – aurait pu tout aussi bien opter pour celui de son père, originaire d’Haïti. Ou bien encore les Etats-Unis, où la famille a déménagé quand elle avait trois ans. Probablement parce que les parents ont pensé qu’il serait plus facile d’élever leurs deux filles (elle a une sœur aînée, Mari, 22 ans) dans un environnement cosmopolite comme aux Etats-Unis qu’au sein de la société japonaise, où il est parfois difficile de s’intégrer en tant que métisse.

En 1999, en découvrant le succès des sœurs Williams à Roland-Garros, lauréates du double, le paternel a une illumination. Inspiré de Richard Williams, le père et coach de Venus et Serena, il se persuade que ses deux filles peuvent suivre leurs traces. Jusqu’à l’âge de neuf ans, Naomi grandit à Long Island. « Flushing Meadows est un endroit très spécial pour moi. Je venais jouer sur ces courts quand j’étais petite », répète celle qui s’entraîne désormais en Floride, à Boca Raton, dans l’académie de Chris Evert. Mari, elle, est 367e mondiale.

La cadette est apparue dans les radars médiatiques au printemps, au milieu du désert californien, à Indian Wells. Elle y crée la sensation avec des victoires de prestige contre Maria Sharapova, Karolina Pliskova, Simona Halep et la nouvelle pépite russe Daria Kasatkina pour soulever son premier trophée sur le circuit WTA. Le public découvre alors sa force de frappe, que les observateurs comparent à… Serena Williams.

« Elles sont toutes les deux très puissantes, elles ont un gros service, elles cognent fort, acquiesce Sascha Bajin, qui a lui-même joué les sparring-partners pour l’Américaine pendant huit ans. Mais pour le reste, ce sont vraiment deux personnes différentes. Leur seul point commun, ce sont leurs cheveux ! Sur le court, Serena est très agressive, elle montre que c’est elle la patronne. Naomi, je dois souvent la pousser à se montrer plus démonstrative. »

« Y a pas moyen, je veux affronter Serena »

En demi-finales, jeudi, la jeune femme a sauvé treize balles de break contre la finaliste sortante, Madison Keys. « Comment avez-vous fait ? », lui demanda le speaker juste après la balle de match. « La réponse va vous paraître idiote, mais je me répétais : y a pas moyen, je veux affronter Serena. Pourquoi ? Parce que c’est Serena ! » Ce sera la deuxième fois qu’elle jouera contre son idole, qui fêtera ses 37 ans à la fin du mois. A Miami, en mars, elle l’avait battue 6-3, 6-2. Mais l’Américaine était tout juste de retour de son congé maternité, après quatorze mois sans compétition.

Cette fois, c’est l’aînée qui partira favorite. Avec, s’il en était besoin, un surplus de motivation : en cas de victoire, Serena Williams égalerait le record absolu de titres en Grand Chelem de Margaret Court (24). La pression, Naomi Osaka en fait fi depuis son entrée en lice. A en croire son coach, « Naomi est l’une de ces joueuses qui sont nées pour les grandes scènes. Elle joue toujours dix fois mieux sur un grand court que sur n’importe quel autre. »

Mais ne risque-t-elle pas d’être rattrapée par ses émotions sous le double effet d’une première finale, qui plus est contre son idole ? « Attention, nuance-t-elle, j’ai toujours eu de l’admiration pour elle, mais je veux essayer de tracer mon propre chemin. Je ne veux surtout pas faire exactement tout comme elle. Ce n’est pas mon but. Samedi, je vais juste essayer de profiter du moment. »

« Et quand vous rêviez que vous affrontiez Serena, comment se terminait votre rêve ?, lui demanda un journaliste vendredi après sa victoire en demi-finales.

− Si je fais des rêves, ce n’est pas pour perdre. Je crois que vous avez la réponse à votre question. »