Vue de la Terre par le satellite DSCOVR datant du 17 juillet 2018. / Blueturn

La première fois que Jean-Pierre Goux a projeté sur grand écran ses images de la Terre en mouvement, c’était en 2016, lors d’une conférence TEDx au Théâtre Bobino, à Paris. Deux minutes à regarder la Planète bleue, immense, tourner sur une musique apaisante. Et c’est tout. Ces images simples sont suivies d’une standing ovation spontanée. Les projecteurs se rallument dans la salle, plusieurs personnes ont pleuré. Pour Jean-Pierre Goux, c’était bien la confirmation que sa vieille intuition n’était pas qu’une chimère. « Nous sommes dans un monde abreuvé d’images, mais très peu d’entre elles provoquent ce genre de réaction », avance l’ingénieur et écrivain, spécialiste des questions environnementales.

Jean-Pierre Goux présente son application Blueturn sur la scène du TEDx, en 2016. / Blueturn

« Effet surplombant »

Pour en arriver là, Jean-Pierre Goux et son associé Michaël ­Boccara ont dépensé une énergie considérable dans la recréation de l’overview effect (que l’on peut traduire par « effet surplombant »), théorisé par l’historien des sciences américain Frank White en 1987. ­Il s’agit d’une sensation éprouvée par certains astronautes, que ­l’entrepreneur a découverte avec émerveillement dans le livre Clairs de Terre, de Kevin W. Kelley, paru en 1988.

Avoir vu notre planète en entier, comme suspendue dans le vide au beau milieu d’un noir profond, donne une urgente envie de la protéger

Tous ceux qui sont allés dans ­l’espace font part d’une même sensation : avoir vu notre planète en entier, comme suspendue dans le vide au beau milieu d’un noir profond, donne une urgente envie de la protéger. Au-delà du choc, les témoignages insistent sur le besoin d’unité des êtres ­humains, à la dérive sur leur fragile vaisseau. Certains vont jusqu’à suggérer l’idée que les frontières seraient de trop. « L’effet combiné de la peur, de la distance, de l’apesanteur, du silence crée toutes les conditions pour avoir une expérience extatique, détaille Jean-Pierre Goux. Un peu comme le mythe de la caverne de Platon. Il faut le vivre pour le comprendre : les astronautes ne parviennent pas à communiquer l’expérience à leurs proches. »

Vient alors aux deux associés l’idée de la faire vivre au plus grand nombre. Il faut dire que pendant des années, entre le 7 décembre 1972 et une période récente, les humains n’avaient à leur disposition qu’une seule image intégrale de la « maison mère », reproduite à l’infini dans les livres de sciences et vie de la Terre. Elle avait été capturée par l’équipe d’Apollo 17 qui, en route pour la Lune, avait profité du voyage pour photographier la Terre en entier par un hublot, pour la toute première fois. Le nom de cette célèbre photo : The Blue Marble (« La Bille bleue »). On voit en son centre Madagascar et la pointe du continent africain.

Conte de fées

La suite ressemble à un conte de fées. Pour créer ces vidéos de la Terre en mouvement, Jean-Pierre Goux et Michaël Boccara utilisent les photos du satellite DSCOVR (« discover »), lancé par la NASA en février 2015 sous l’impulsion de l’ancien vice-président des Etats-Unis Al Gore. Quand DSCOVR ­révèle sa première image en juillet 2015, le président Obama la poste sur Twitter pour saluer le succès de la mission.

Un time-lapse résume les rotations de la Terre pendant un an
Durée : 01:06

Le tour de force des deux complices, c’est d’avoir transformé ces images fixes en vidéo. Qu’ils décident ensuite de publier sur Instagram. Surprise : le chef de la mission DSCOVR les contacte, impressionné par leur travail. Les équipes d’Al Gore font de même quelque temps plus tard, et le ­binôme devrait les rencontrer avant la fin de l’année.

L’engouement est tel qu’ils décident de diffuser leurs images sous la forme d’une application gratuite : Blueturn est née. Quand nous rencontrons Jean-Pierre Goux, son smartphone nous montre la Terre telle qu’elle était un jour et demi plus tôt. On peut choisir sa musique, ou préférer le silence, et simplement regarder la Terre tourner. La vitesse de ­rotation est multipliée par 300 pour éviter que les utilisateurs ne s’ennuient, mais on peut aussi choisir de la regarder en vitesse réelle, soit vingt-quatre heures pour un tour du monde…

Comment les images de la NASA ont changé notre regard sur l’Univers

« L’image qu’on regarde nous ramène vers nous, c’est une image très rassurante, un peu comme si on regardait le ventre de notre mère. »

« Il y a un côté effrayant quand on regarde un ciel totalement ­dégagé la nuit, partage Jean-Pierre Goux. Alors que là, l’image qu’on regarde nous ramène vers nous, c’est une image très rassurante, un peu comme si on regardait le ventre de notre mère. En fait, Blueturn, c’est un selfie de la Terre. » Au-delà de son intérêt scientifique, le projet Blueturn s’accompagne d’un engagement écologiste, voire politique.

En France, des personnalités politiques de premier plan ont pu voir les vidéos de Blueturn : Ségolène Royal, ministre de l’environnement lors de la COP21 en septembre 2016, qui a éprouvé selon Jean-Pierre Goux « une très vive émotion », mais aussi Emmanuel Macron et Nicolas Hulot lors de la COP23, fin 2017. Il reste un rêve à réaliser aux deux créateurs de Blueturn : « Mettons ces images partout, sur les monuments, les immeubles, pour que les gens se rappellent tout le temps où on ­habite. Il faut se déconnecter et prendre le temps de se reconnecter avec ce qui nous dépasse. »

L’espace sera l’une des grandes thématiques abordées lors du Festival de l’innovation Novaq.

Les 13 et 14 septembre, la région Nouvelle-Aquitaine, en partenariat avec Le Monde, organise deux jours de débats, conférences, pitchs et ateliers au Hangar 14, à Bordeaux.

Scientifiques, experts, entrepreneurs échangeront autour de trois grands thèmes : le cerveau, l’espace et l’océan. Fil rouge de cette édition : l’innovation au service de l’humain.

Programme et inscriptions ici