Karolina Skog, ministre suédoise de l’environnement, distribue des bulletins devant le bureau de vote de l’école Kroksback à Malmö, dimanche 9 septembre. / TT NEWS AGENCY / REUTERS

Sur la tombe d’Olof Palme, devant l’église Adophe-Frédéric, en plein cœur de Stockholm, quelqu’un a déposé une rose rouge. Le symbole du parti social-démocrate que l’ancien premier ministre a dirigé pendant dix-sept ans, avant d’être assassiné, le 28 février 1986, à la sortie d’un cinéma, dans la capitale suédoise. Un an plus tôt, les sociaux-démocrates avaient remporté 44,7 % des voix aux élections législatives.

A la veille du scrutin du dimanche 9 septembre, ils étaient crédités de 26 % des intentions de vote. Un score qui, s’il se confirmait, serait le plus faible enregistré par la formation depuis plus d’un siècle. Derrière eux, en embuscade, les Démocrates de Suède (SD), le parti d’extrême droite de Jimmie Akesson, déjà annoncé comme le grand gagnant de ces élections, avec 20 % d’intentions de vote.

Campagne difficile

A quelques dizaines des mètres de la tombe d’Olof Palme, une écharpe verte sur la poitrine, Rune Forsberg, employé de banque à la retraite et militant centriste, accueille les électeurs devant les portes de la salle paroissiale transformée en bureau de vote. Petites lunettes et mine sévère, il confie son inquiétude : « Je vote depuis des années, mais pour la première fois, j’ai l’impression que c’est l’avenir de notre démocratie libérale qui est en jeu », souffle-t-il.

Le retraité décrit une campagne difficile : « On nous a insultés, craché dessus, accusé d’être des traîtres. » En cause : la ligne intransigeante de la cheffe de file des centristes, Annie Lööf, qui ne perd pas une occasion de dénoncer l’idéologie « xénophobe » du parti de Jimmie Akesson et refuse de siéger au sein d’un gouvernement de centre-droite dépendant du soutien des SD.

Casquette sur la tête, Michel, 35 ans, vient voter en sortant de son quart de nuit. Il travaille pour une société de sécurité à Stockholm. « C’est très dur cette année, dit-il. On ne sait pas ce qui va se passer après les élections, qui va gouverner avec qui et avec quel gouvernement on va se retrouver. » Il a hésité, puis a fini par voter pour le parti conservateur, dont il se réjouit qu’il « se rapproche de la ligne du SD » sur certaines questions :

« On a vraiment besoin d’un gros changement en Suède, une autre façon de penser. On est à la traîne. Notre système de santé se détériore, les résultats scolaires se cassent la figure, l’intégration ne fonctionne pas… Et pendant ce temps-là, tous les partis refusent de parler avec SD. C’est insensé. »

Négocier avec l’extrême droite

Mats, 66 ans, et Christiane Berglund, 59 ans, sont d’accord. Le couple arrive en trottinette électrique. « Aujourd’hui, nous décidons dans quelle direction nous voulons mener la Suède », lance Christiane. La cheffe d’entreprise a l’habitude de voter conservateur, mais s’est laissée séduire par Ebba Busch Thor, la jeune patronne des chrétiens-démocrates, qui promet une reprise en main de la société suédoise : « On a besoin de quelqu’un qui dise les choses et n’ait pas peur de serrer la vis ». Quitte à négocier avec SD :

« Ils représenteront peut-être 20 % de la population ce soir. On ne peut plus continuer à les ignorer. Cela ne serait pas digne de notre démocratie. »

A quelques centaines de mètres, sur la place Hötorget, des Stockholmois vaquent entre les étales du marché aux puces. Derrière ses bibelots en porcelaine, Nils Lagman, 56 ans, fait l’éloge du parti d’extrême droite :

« SD est le seul qui dise tout haut ce que les Suédois pensent depuis 20 ans. On n’en peut plus de payer pour les immigrés à qui on sert tout sur un plateau. Ma mère a 85 ans et elle a à peine de quoi vivre. Pendant ce temps-là, on donne aux réfugiés des logements, ils peuvent aller se faire soigner gratuitement. Cela ne peut plus continuer comme ça ! »

Une cliente se mêle à la conversation. « Il n’y a pas que les Suédois qui pensent ainsi. Nous, les immigrés, on est d’accord ! » Originaire de l’ex-Yougoslavie, Bosana Nikolic est arrivée en Suède en tant que réfugiée, il y a vingt ans. La sexagénaire vomit sa colère contre ceux qui ont obtenu l’asile depuis et « pensent que tout leur est dû. »

« J’ai peur »

Quelques instants plus tard, le premier ministre, Stefan Löfven, accompagné de sa femme, Ulla, quittent leur résidence de Sagerska, à quelques pas du Parlement, pour aller voter. Le chef de file des sociaux-démocrates assure qu’il a « bien dormi ». Pour lui, la campagne n’est pas finie. Après avoir voté, il allait boire un café avec des retraités, puis tenir un dernier meeting dans une banlieue de Stockholm, accompagné de plusieurs de ses ministres, et partager le déjeuner d’une famille suédoise.

Le scrutin, a-t-il affirmé, en sortant du bureau de vote est « un référendum sur l’Etat-providence » et sur la société dont veulent les Suédois : « Seul un gouvernement dirigé par les sociaux-démocrates pourra garantir que SD, un parti raciste, n’est pas d’influence et assurer que la décence l’emporte. »

Elégante dans sa grande robe à fleurs, Katarina Stjernfelt, 59 ans, est en pleurs. Elle se rendait avec son mari à une exposition d’arts, quand ils ont aperçu Stefan Löfven, à quelques mètres. Elle lui a confié qu’ils étaient « avec lui ». Le patron des sociaux-démocrates a levé le pouce. « J’ai peur, dit l’enseignante. Quand les néofascistes l’emportent, c’est l’avenir de notre belle société ouverte qui est menacé. »

Le couple vit sur l’île d’Öland. Il a voté il y a quelques jours. Car si les élections ont lieu dimanche, les Suédois peuvent voter depuis le 22 août, en mairie, dans les grandes surfaces ou les bibliothèques du royaume. Ils ont même le droit de changer leur vote, le jour des élections, s’ils regrettent leur choix initial. En 2014, 42 % des électeurs ont voté en avance et 7 352 d’entre eux sont revenus le jour du scrutin pour modifier leur choix.

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