Impossible, vu l’intérêt suscité par les audiences, de rester dans les locaux étroits du tribunal de Brunswick (Basse-Saxe). Pour accueillir le premier grand procès d’actionnaires contre le groupe Volkswagen (VW), qui s’ouvre lundi 10 septembre, c’est la salle du congrès de la mairie, bien plus vaste, qui a été choisie. Outre le public curieux, le nombre de plaignants est considérable : près de deux mille actionnaires du groupe accusent VW et sa société mère, Porsche SE, d’avoir informé trop tard des conséquences probables de la manipulation de millions de moteurs diesel, en septembre 2015.

Regroupés dans une plainte collective derrière Deka, le fonds d’investissement des caisses d’épargne allemandes, ces actionnaires réclament à VW 9 milliards d’euros de dommages et intérêts. Il y a tout juste trois ans, ils avaient vu s’effondrer en quelques heures la valeur de leur investissement dans le capital du constructeur : le vendredi 18 septembre 2015, l’agence américaine pour l’environnement (EPA) publiait une déclaration (« notice of violation ») accusant Volkswagen d’avoir enfreint pendant plusieurs années les règlements américains en matière de protection de l’environnement, car ses moteurs diesel étaient équipés d’un logiciel illégal. La déclaration avait provoqué un effondrement de plus de 30 % du cours des actions Volkswagen.

Il a fallu attendre le mardi 22 septembre 2015 pour que le groupe publie une déclaration aux actionnaires, reconnaissant que 11 millions de véhicules diesel équipés du moteur EA189 dans le monde étaient « suspects » et annonçant que 6,5 milliards d’euros étaient mis en réserve en prévision d’éventuelles poursuites judiciaires.

Insuffisance technologique et manipulation

Pour les actionnaires floués, cette information est arrivée bien trop tard : la direction de Volkswagen devait savoir depuis bien longtemps que ses moteurs diesel ne répondaient pas aux exigences environnementales définies par l’EPA et à quel risque s’exposait le constructeur. La présence d’une insuffisance sur une technologie-clé aurait suffi à faire descendre le cours de l’action, jugent les actionnaires, qui considèrent avoir payé bien trop cher leur investissement dans le groupe allemand.

L’avocat des plaignants, Andreas Tilp, estime que le groupe était conscient depuis 2008 qu’il n’était pas en mesure de mettre au point des moteurs conformes à la législation américaine. C’est ce constat d’échec, argumente-t-il, qui aurait généré la manipulation des moteurs.

Volkswagen ne pouvait anticiper la sévérité accrue des autorités américaines contre les violations de la loi sur l’air, argumentent les avocats du constructeur.

Selon le document qui sert de base à l’accord de compromis conclu début 2017 entre VW et la justice américaine (« statement of facts »), la fraude a en effet débuté le 6 juin 2008, date à laquelle le constructeur présente pour la première fois aux autorités américaines un véhicule équipé d’un logiciel trompeur. Au plus tard en mars 2014, lorsque l’institut américain ICCT révèle que les émissions réelles de gaz polluants des moteurs Volkswagen sont bien supérieures à celles officiellement annoncées, Volkswagen a commencé à dissimuler la vérité, jugent les plaignants.

Volkswagen, de son côté, voit évidemment les choses d’un autre œil. Le groupe considère que le procès qui s’ouvre à Brunswick n’est pas celui de toute l’affaire « dieselgate » et de ce que savaient ses responsables. La seule question, argumente l’avocat du groupe, Markus Pfüller, est de savoir si le groupe a correctement rempli son obligation d’information vis-à-vis des actionnaires. « Nous sommes convaincus que c’est le cas », estime M. Pfüller.

L’avocat dispose d’un argument qui pourrait jouer un rôle déterminant : le renforcement du régime d’amende des autorités américaines en cas de violation de la loi sur la pollution de l’air. Car, jusqu’à l’affaire Volkswagen, l’amende la plus forte jamais infligée dans le cas d’une violation similaire était relativement modeste – autour de 100 millions d’euros. C’est en tout cas la somme que le groupe sud-coréen Hyundai-Kia avait dû payer en 2014 aux autorités américaines, lorsqu’il fut établi qu’il avait donné de fausses informations sur la consommation de carburant de 1,2 million de ses véhicules, soit 85 euros par voiture. Mais l’affaire Volkswagen marque un changement de paradigme : les autorités américaines décident pour la première fois de punir bien plus lourdement les atteintes à l’environnement – la somme évoquée par l’EPA est alors de 37 500 euros par véhicule.

Un procès prévu pour plusieurs années

Volkswagen, argumentent les juristes du constructeur, n’aurait pas pu anticiper cette nouvelle sévérité. Le risque d’une amende de 100 millions d’euros ne nécessitait pas d’information aux actionnaires au vu du chiffre d’affaires du groupe, qui dépasse les 200 milliards d’euros. « Les juristes de VW ont tablé sur le fait, en août 2015, que les conséquences financières potentielles de la question du diesel seraient de taille raisonnable, puisque seuls 485 000 véhicules diesel aux Etats-Unis étaient concernés, » expliquent les avocats du groupe.

Certes, certains représentants du groupe avaient reconnu des infractions au droit américain dès le 3 septembre 2015, mais « les conséquences financières concrètes étaient encore incertaines ». Ce n’est que le 22 septembre 2015, quand l’ampleur des risques a été connue, que la direction a envoyé une information aux actionnaires.

L’argument sera-t-il entendu par les juges de Brunswick ? S’il est établi que Volkswagen, quelle que soit l’énormité de sa faute sur le fond, n’a pas enfreint délibérément les règles d’informations boursières, les actionnaires pourraient repartir les mains vides. Le procès doit durer plusieurs années.